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Bernard s’assit, un peu tremblant au fond de lui-même, mais d’un trouble qui n’enlevait rien à sa détermination.

— Mon père, je viens causer avec vous. Je désire vous parler de choses graves… de questions d’avenir.

— Oh ! oh ! C’est sérieux en effet. Je t’écoute, mon enfant.

— Vous savez, mon père, que j’aurais désiré entrer à Saint-Cyr et servir mon pays comme soldat.

— Eh bien, tu n’as plus l’âge. Quelle diable d’histoire ancienne vas-tu évoquer là ?

— Vous m’avez demandé, vous et mon grand-père, de renoncer à cette idée pour ne pas me séparer de vous. J’y ai consenti de bon cœur.

Le comte fit un signe d’assentiment. Il écoutait, et, sous l’arc comprimé de ses sourcils, l’œil brillait, inquiet et perçant.

— Il a donc été décidé que je ne vous quitterais jamais et que je me ferais une vie absolument liée à la vôtre. Dans ce plan était comprise, je crois, l’idée d’un mariage jeune que vous désiriez l’un et l’autre après les cruelles épreuves qui vous ont frappés.

— Parfaitement. Je ne l’oublie point. Il ne se passe guère de jours sans que j’y songe pour toi.

Bernard reprenait de plus en plus possession de lui-même. L’effort qu’il avait dû faire pour aborder la question avait mis en train son énergie naturelle ; il se sentait un homme, et voyait avec une certaine fierté un peu d’étonnement naître chez le comte devant cette révélation à laquelle les pères ne s’attendent jamais.

— Eh bien, mon père, je viens vous demander l’autorisation de réaliser ce plan…

Le comte se leva. Il avait le pressentiment d’une situation difficile, et se mit à marcher les deux mains derrière le dos. En pareil cas, quand il était intérieurement agité, ses paroles étaient brèves :

— Après ? dit-il.

— Comment, après ? demanda Bernard.

— Oui, ce n’est pas tout. Il y a la femme…

Bernard se recueillit un instant. Il faut toujours un effort pour avouer le nom de la femme qu’on aime, et Bernard, plus réservé que d’autres, surtout en face de son père, avec lequel toute confidence était difficile, hésitait encore à livrer son secret.

Le comte s’arrêta soudain, et, regardant son fils :

— Est-ce que tu aurais fixé ton choix ?

— Oui, mon père…

— Oh ! oh ! s’écria le comte, saisi d’une nouvelle inquiétude, voilà qui me paraît au moins prématuré… Il me semble que tu n’as