Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/684

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aisément par-dessus les bancs. Le bureau le vit arriver avec terreur, car Frumand avait les sympathies d’une partie de la salle, qui déjà l’applaudissait et se réjouissait à l’avance de ses saillies. Il fallut donc lui laisser la parole, et le jeune homme se campa sur les planches. Bernard et Mélinot étaient stupéfaits de tant d’audace, mais leur ami paraissait fort à l’aise, et sa tête légèrement renversée, ses épais cheveux noirs, sa haute taille et sa forte stature en imposaient évidemment à la foule.

— Ah ! quel malheur, disait un citoyen, que ce type-là ne soit pas avec nous.

C’était la note générale : on regrettait ses idées, mais on aimait sa franchise et sa rondeur.

Le discours de Frumand ne fut point long, mais bourré d’idées. Il commença par railler spirituellement les anarchistes et leur système de destruction universelle, puis il flatta avec adresse les ouvriers, déplora leurs misères dont il fit un saisissant tableau, et aborda enfin la question des remèdes. À ce moment, il y eut un mouvement d’attente parmi la foule, et Frumand, pour faire provision de courage, jeta les yeux sur ses amis. Il est vrai qu’il n’en reçut pas grand secours. Bernard était pâle et Mélinot défait. D’un tour de tête il rejeta ses cheveux en arrière :

— Attention maintenant ! citoyens, s’écriait-il, je vais entamer la question à l’ordre du jour, et dam, vous le savez, avec la bonne franchise que vous me connaissez… Suis-je libre de dire ce que je pense, ici ?

— Oui, oui, crièrent mille voix. Vous êtes libre… nous sommes tous libres !

— Eh ! bien, si je suis libre, je vous déclare qu’il n’y a que deux grands moyens d’amélioration pour les travailleurs : un moyen matériel, l’association sous la forme corporative…

À ces mots, toute la partie gauche de la salle, formée d’anarchistes et de socialistes avancés, se souleva avec colère et fit entendre d’énergiques protestations, fortifiées de cris d’animaux. Des chaises furent levées, des bancs soulevés, le tumulte commença, et les journalistes s’apprêtèrent à quitter la salle. Bernard et Mélinot se rapprochèrent, au contraire, de leur ami pour le protéger, pendant que le président agitait sa sonnette. Le danger de Frumand leur avait rendu la vaillance. Les yeux de Bernard commençaient à flamber. Mais Frumand fit un puissant effort, et sa voix domina un instant la tempête :

— Attendez donc ! cria-t-il, je n’ai pas fini ! Il y a aussi un moyen moral…

Et comme on l’entourait pour l’arracher de la tribune, il sauta