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mand qui reprit la parole. Ils marchaient côte à côte, sur le trottoir.

— Mon petit Bernard, dit Frumand de sa voix profonde et tendre, je vois pourtant bien que tu es amoureux…

— Ah ! dit Bernard en souriant, tu n’en sais rien… ni moi non plus.

— Si, si. Je suis certain que tu es amoureux.

Bernard fît un geste évasif et tourna la tête pour éviter le regard de Frumand.

— Non, dit-il. Tu sais bien que je suis un homme froid. Tu me l’as souvent répété.

— Toi, un homme froid ! Il faut s’entendre. Tu es trop discret, voilà tout. Tu ne sais pas, à l’occasion, lâcher la bride à tes pensées intimes pour les jeter dans le cœur d’un ami.

Bernard, ému peut-être, resta silencieux. Frumand passa son bras sous le sien. Il faisait nuit. La rue était déserte. Leurs pas résonnaient seuls sur le bitume.

— Allons, mon Bernard, pourquoi faire de la peine à ton vieil ami, pourquoi lui cacher tes sentiments ? Confie-moi ton secret. Confie-moi le pour moi, si ce n’est pour toi, pour moi qui ai besoin d’être rassuré sur ton compte.

— Comment cela ?

— Je ne veux pas que tu souffres.

— Mais je ne souffre pas ! dit Bernard, au contraire. Ce que j’éprouve, c’est du bonheur, c’est un charme, c’est…

— Bravo ! s’écria Frumand.

Puis, s’arrêtant soudain et se mettant en face de Bernard :

— Mais, dis-moi, cela ne sent-il pas l’étranger ?

Bernard se mit à rire :

— Pour cela, non, je te l’affirme. C’est du pur sang gaulois.

— À la bonne heure 1

Bernard essaya de reprendre son chemin. Sa nature contenue souffrait malgré tout de se laisser arracher un secret jusqu’alors caché au plus profond de lui-même. Pourtant il sentait à quelle amitié il avait affaire, et il était trop épris pour rompre l’entretien de vive force. Mais il cherchait le moyen de voiler sa confidence ; il ne voulait pas la refuser et il ne voulait pas la donner tout à fait. D’ailleurs Frumand, si perspicace, semblait avoir devant les yeux une barrière qui l’empêchait de voir la vérité. Il était à cent lieues de penser que le jeune vicomte aimât Jeanne. Son esprit cherchait ailleurs, et son cœur, incliné peut-être, sans qu’il s’en rendît compte, vers Mlle d’Oyrelles, contribuait à tromper son esprit. Tant il est vrai que nous sommes toujours l’obstacle à nous-mêmes ! Cependant, moins il trouvait, plus il voulait savoir. Étonné de son igno-