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cates, Mme Fulston avait donné la suprématie à l’Europe, en ce sens que l’Europe occupait le fond de la salle. Sous un dais immense, les diverses nations européennes étaient figurées, oh ! bien singulièrement figurées par des poupées que l’on avait habillées de différentes façons et groupées par peuples.

Il y avait là de grandes Anglaises ; les unes en tenue de voyage avec la toque et le châle, les autres en robe de cérémonie, naturellement du plus mauvais goût. L’une d’elles, qui obtenait un succès fou, représentait une lady suivie de sa famille, quinze enfants, par rang de taille, alignés derrière elle, depuis la blonde miss qui n’a pas encore les cheveux relevés, jusqu’au baby qu’on a arraché pour la circonstance aux mystères de la nursery.

À côté, on avait mis les Allemandes, sans doute à cause des alliances royales : des tresses blondes à l’infini et de petites tailles rondelettes, de petites mines à la fois sentimentales et rebondies qui réjouissaient l’œil.

Puis les brunes Espagnoles, les Italiennes, les Grecques, les Turques, les Russes, les jolies Parisiennes, les Suissesses ; et dans un coin, comme une note attendrie, quelques Alsaciennes avec leur grande coiffure, triste comme un deuil.

Et derrière les poupées, à demi cachées, allant et venant, les jeunes filles faisaient choisir les enfants et, quand elles avaient vendu, déposaient leur recette dans une corbeille. C’était charmant de les voir passer si vivantes et si fraîches derrière ces figures inanimées. Du plafond pendaient des lustres. Des drapeaux flottaient : drapeaux anglais, italiens, hollandais, drapeaux de toutes les nations. Mais la fête était bien française, à en juger par cette jeunesse, et dans le fond, enveloppant l’estrade, il y avait des guirlandes de roses d’automne, autre richesse nationale.

Jeanne d’Oyrelles se distinguait au milieu des autres vendeuses par son entrain et sa grâce. Elle était empressée sans affectation, nullement préoccupée de l’effet qu’elle pouvait produire ; sa simplicité, son aisance naturelle lui créaient une place à part au milieu de ses compagnes qui ne semblaient appliquées qu’à se copier. Jeanne restait elle-même ; elle avait son originalité, sa façon d’être, et sa mère avait veillé à ce qu’elle ne perdît pas ce don précieux. Chose rare ! Jeanne était très affable. Elle causait, et causait bien. Elle était même aimable ! C’est démodé, dira-t-on. On ne fait plus de frais que quand on est chez soi, et encore !

Mme d’Oyrelles ne tenait pas de si près à la mode.

— Ma chère enfant, répétait-elle à sa fille, il faut qu’une femme soit aimable. C’est un devoir social, un devoir comme un autre, trop souvent négligé.