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à diminuer la longueur de sa taille ; ses pieds et ses mains désolaient le gantier et le cordonnier ; et pourtant il y avait dans cette grande personne je ne sais quoi de plaisant, de bon enfant, de cavalier, qui harmonisait l’ensemble. Ce qu’elle avait de plus étrange, c’étaient les yeux. Ils faisaient contraste avec elle-même. Mlle Fulston avait l’allure décidée ; la forme de son visage aussi bien que de son caractère étaient arrêtés. Et ses yeux, ses yeux étaient d’un bleu pâle, si pâles, si clairs, si dégradés, comme disent les peintres, qu’ils paraissaient presque décolorés. Naturellement ces yeux-là ne pouvaient rien exprimer de bien vif, et c’était la plus singulière chose du monde d’entendre Mlle Fulston parler hardiment, avec un geste déterminé, un port de tête énergique, sans pouvoir mettre d’accord son regard éternellement terne, éternellement perdu comme un lointain.

À tout prendre, elle ne manquait point de prétendants. Mlle Fulston devait hériter d’une fortune incalculable ; sa dot était de trois millions, qu’on savait être déposés chez un banquier et prêts à être versés le jour du mariage. Elle était d’une élégance suprême, inaugurant les modes et portant la toilette avec une désinvolture, avec un sans-gêne tout à fait conquérants. Personne ne donnait le shake hands avec autant de crânerie. On ne l’avait jamais vue embarrassée. Elle ne se gênait pas plus pour dire leur fait à ses amies qu’à ses adorateurs, voire même à sa mère, quand l’occasion s’en présentait. Pas plus capricieuse qu’une autre, et même assez raisonnable, pour une enfant gâtée, comme elle l’avait été toute sa vie.

On lui donnait dix-huit ans, elle en portait au moins vingt. Il y avait deux ans qu’elle habitait Paris avec sa mère. Elles étaient très lancées dans le monde et recevaient beaucoup. M. Fulston était apparu une ou deux fois, mais le plus rarement possible. Il n’aimait pas l’Europe et parlait à peine français. On disait même tout bas que sa façon de traiter les affaires n’aurait pas reçu l’approbation de nos tribunaux. Inventions jalouses probablement, histoires malveillantes de quelque amoureux évincé qu’il n’était guère utile d’approfondir.

C’était la première fois que Mme Fulston prêtait son hôtel pour une fête de charité. Il fallait lui rendre cette justice, qu’elle avait fait magnifiquement les choses. Le rez-de-chaussée avait été bouleversé ; les portes étaient enlevées ; une ou deux cloisons avaient été sacrifiées, et l’on avait obtenu ainsi un hall splendide où étaient installées les vendeuses.

L’intention des organisateurs avait été de représenter les cinq parties du monde. C’était vaste. Par une attention des plus déli-