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— C’est possible, se disait-il à lui-même par manière de réponse, mais c’est une exception qui confirme la règle, car, enfin, on ne peut pas toujours être servi par sa nourrice.

Des trois de Cisay, Bernard était le seul qui pratiquât sa religion. Non pas que le marquis fût un impie. Bien loin de là. Mais il était d’un temps où les hommes ne fréquentaient guère les églises ; il était trop léger pour aimer les entraves et surtout il ne pensait pas que les choses sérieuses, soit du ressort des affaires, soit d’un ordre plus élevé, fussent faites pour lui. Se laisser vivre, passer la vie au jour le jour, en lui souriant, c’était son unique théorie. Pourtant, comme Dieu, avec une tête folle, lui avait donné un cœur d’or, il y avait au fond de son cœur des élans spontanés qui montaient parfois très haut. Il était de ceux qui sentent avant de comprendre et qui agissent avant de raisonner. Que n’eût-il pas fait pour Bernard ! le jour de la première communion de son petit-fils, dans la chapelle des Jésuites, personne n’avait pleuré comme lui. Mais de prières, de maigre, de confession ou autres observances, il n’en fallait pas parler :

— Bah ! répondait-il avec une légèreté déplorable, quand on y faisait allusion, est-ce que le bon Dieu ne me trouve pas bien comme cela ? Je n’ai jamais fait de peine à personne ; j’ai beaucoup de mon argent dans la poche des autres et je n’ai pas un sou qui me gêne ; j’ai adoré ma femme ; j’ai été fidèle à mon roi. Je mourrai dans la peau d’un honnête homme, et d’ailleurs si le bon Dieu n’est pas encore satisfait, je lui parlerai de mon petit-fils, qui est de toutes les œuvres !

Chez le comte, c’était différent. Il allait à la messe le dimanche. Il s’y tenait debout, sans livre, ne s’agenouillant jamais, même à l’élévation. Mais il ne pouvait souffrir qu’on parlât de Dieu. Tout ce qui touche à la religion, de près ou de loin, était écarté. Quand Bernard était au collège, il ne le voyait que les jours de sortie, n’aimant pas à entrer dans une maison religieuse. Il blâmait beaucoup son fils de s’occuper des pauvres et des œuvres sociales :

— Je voudrais bien voir à quoi vous aboutirez. Laissez donc, c’est du temps perdu !

Le comte était un sceptique ; on pouvait se demander à quoi il croyait et même s’il croyait à quelque chose. Rien ne le touchait, La seule convenance semblait diriger ses actions. Dans les jours d’orage, quand le marquis était fâché, il disait de son fils :

— Ce n’est qu’une forme !

C’était dur peut-être, exagéré sans doute, et la faute en remontait à celui qui formulait l’arrêt.

Le comte avait été élevé sans aucune doctrine. Sa mère seule,