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Bientôt le sentier qu’il suivait déboucha dans une voie plus grande où l’on rencontrait des équipages et des groupes d’officiers. Bernard courait toujours. On l’eût dit à la poursuite d’un objet invisible. Il aimait l’action. La vitesse le grisait, et un peu d’effort ne déplaisait pas à sa vaillante nature. Tout à coup il distingua, dans le lointain de la route, la capote d’une large voiture qui trottait devant lui. Cette capote était abaissée et deux silhouettes de femmes s’élevaient au-dessus. Bernard ne mit pas longtemps à les reconnaître. L’une d’elles, un peu affaissée, mais encore élégante, était Mme d’Oyrelles, l’autre, souple et gracieuse, était Jeanne. La voiture d’ailleurs n’allait pas vite. C’était une vieille calèche de forme hospitalière, dans laquelle Bernard avait maintes fois joué à cache-cache quand elle était sous la remise de la Gerbière. Le cheval qui la traînait était conduit avec sensibilité par le mari de la Renotte ; on le ménageait et il en profitait. Mais Mme d’Oyrelles aimait ce mode de locomotion, et soit qu’elle fît une course de voisinage, soit qu’elle se rendît à Paris, elle l’employait de préférence à tout autre :

— Là-dedans, disait-elle, je suis chez moi, et, comme je m’y trouve bien, que m’importe d’y rester une heure de plus !

Bernard ralentit sa monture. Lui qui, l’instant d’avant, bondissait comme un homme pressé, se mit à une allure douce qui lui permettait de regarder plus longtemps devant lui sans dépasser la calèche. Mais quoi qu’il pût faire, il se rapprochait de minute en minute, et le moment vint où il rattrapa ses voisines. Alors il salua d’un geste rapide et plein d’empressement, en se tournant un peu de côté, l’œil éclairé d’un sourire.

Les deux femmes lui rendirent son salut. Jeanne, à demi perdue sous son grand chapeau, toujours vive, toujours fine et charmante, sourit à son ami d’enfance avec les yeux, avec les lèvres, le sang aux joues, tout heureuse, et pourtant digne comme une petite princesse. Mme d’Oyrelles lisait.

Bernard lâcha de nouveau la main et trotta ferme dans la direction de Paris.

Il était cinq heures quand il sonna à la porte de l’hôtel. Le concierge accourut.

— Comment, c’est vous, monsieur Bernard ?… Nous ne vous attendions pas aujourd’hui…

— C’est pourtant moi, Baptiste. Soignez mon cheval, je vous prie, car il a chaud. Je l’ai mené vite… Rosa est là ?

— Oui, monsieur. Elle repasse.

Bernard franchit le perron, sa cravache à la main, traversa le vestibule, et alla ouvrir une porte qui se trouvait au fond.