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dans ce vieux nid qui leur avait successivement servi de berceau.

Mme d’Oyrelles était la fille d’un de ces bons gentilshommes sans fortune, qu’on trouvait encore aux environs de Paris au commencement du siècle. Elle était charmante et presque sans dot. Son père l’avait entretenue dans l’idée qu’elle ne se marierait pas, et elle s’appliquait à se le persuader, étant de nature douce et soumise, quand elle fut demandée par le capitaine d’Oyrelles, qui était, à tous les points de vue, un parti inespéré.

Le capitaine avait trente ans, un nom des plus honorables, d’excellentes notes et six à sept mille livres de rente en dehors de son traitement. Mme d’Oyrelles le suivit pendant dix ans dans différentes garnisons. C’était un ménage parfait, l’union de deux cœurs d’élite et de deux esprits distingués. Mme d’Oyrelles avait pris, avec le bonheur, un peu de cette assurance qui lui faisait défaut dans sa première jeunesse ; elle avait vaincu une timidité excessive et achevait de se développer lentement sous l’œil intelligent de son mari. Elle était de ces femmes qui mûrissent tard, qui doutent d’elles-mêmes fort longtemps et ne se décident qu’avec peine à donner toute la mesure de leurs moyens.

Comme si cette disposition morale eût été affirmée par une disposition physique, Mme d’Oyrelles ne devint mère qu’après huit ans de mariage. Mais alors, à vingt-huit ans, quand elle tint dans ses bras cette petite Jeanne tant désirée, quand elle vit le capitaine radieux et qu’elle comprit enfin que la vie lui souriait tout à fait, ce fut une efflorescence complète. Nul n’aurait reconnu dans la femme aimable, expansive, spirituelle, dont M. d’Oyrelles était si fier, la jeune fille trop défiante d’elle-même, dont les qualités se devinaient, mais ne se montraient pas.

Jeanne avait deux ans quand son père qui était maintenant lieutenant-colonel, reçut l’ordre de partir pour l’Afrique.

Mme d’Oyrelles revint à la Gerbière, fermée depuis la mort de ses parents, pour y passer son temps de solitude. Elle retrouva là des amis d’enfance, les uns très humbles, d’autres très riches, les bonnes gens du village et la famille de Cisay. Elle reprit ses habitudes, et il lui semblait parfois qu’elle n’avait jamais quitté ce coin de terre. Sa vie de garnison avait passé comme un rêve.

C’est à cette époque que Bernard avait connu Jeanne. Ses premiers souvenirs remontaient à leur plus petite enfance.

Les nouvelles de M. d’Oyrelles étaient excellentes. Il conquit vite le grade de colonel ; le climat ne le faisait pas souffrir. Ses lettres étaient vaillantes. Il soutenait en soldat le courage de sa femme, œuvre plus difficile que d’aller bravement au feu.

Puis, tout d’un coup, il arriva à la Gerbière une dépêche brutale.