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Sa large face s’épanouit ; il releva une petite mèche de son toupet gris qui lui retombait sur l’oreille et un commencement de gaieté secoua sa grosse personne.

Par naissance, par éducation, et surtout par dévouement, sa nature joviale et son tour d’esprit s’y prêtant d’ailleurs, Me Durandal était familier avec MM. de Cisay. Cette familiarité n’excluait point le respect ; au contraire, elle en était à ses yeux une des formes. Il croyait leur dire par là ce qu’il avait au fond du cœur : « Moi, je suis un enfant de la maison, élevé au château, fils et petit-fils des régisseurs de Chanteloup ; je sais vos affaires mieux que les miennes, on me les a apprises en naissant ; je n’ignore pas que vous avez besoin de moi, comme j’ai besoin de vous, comme nos parents ont eu besoin les uns des autres, et si je suis notaire, c’est sous vos plumes et toujours à votre service. »

Sosthène Durandal n’avait du reste acheté sa charge qu’après la mort de la comtesse, lorsque le comte Rodolphe s’était décidé à gérer lui-même sa fortune. Née du château et vivant de lui, surtout au commencement, l’étude était dans la main de M. de Cisay, qui trouvait cet arrangement de son goût ; le notaire continuait d’être à lui ; nul ne pouvait être comparé à Durandal pour connaître le passé de la famille, les tenants, les aboutissants, fécond en ressources, rassurant dans les crises, fervent dans la bonne étoile de ses maîtres, facile comme un homme qui fait bien ses affaires, auquel il ne manque rien et qui a besoin de bonne humeur, ne serait-ce que pour sa santé.

Me Durandal n’était pas beau et n’y prétendait pas ; il n’avait aucune idée d’élégance et peu de goût du luxe ; on ne lui connaissait qu’un amour imprudent de la cuisine, amour que sa femme entretenait, hélas ! en passant à faire des surprises gastronomiques un temps qu’elle eut mieux employé si Dieu lui avait accordé des enfants.

Aussi Me Durandal engraissait à vue d’œil ; son petit œil fin disparaissait derrière le rebondissement de ses joues, surtout quand sa bouche se détendait dans un gros rire ; ses cheveux, collés aux tempes depuis le premier avril jusqu’à la Toussaint, se serraient par mèches, sans aucune grâce ; son menton soigneusement rasé retombait double ou triple sur une cravate négligente ; son nez avait des rondeurs préparées par la nature et augmentées par l’embompoint, on ne pouvait lui trouver aucune forme ; et sa tête semblait fixée directement entre ses deux vastes épaules comme si on eût oublié de l’emmancher d’un cou.

Avec cela, l’air du meilleur homme du monde, l’esprit dans les yeux, le cœur chaud, rond en affaires, facile avec les paysans, serviable avec les riches et tournant tout du bon côté.