Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/507

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Venez avec moi, grand-père. J’en serai si heureux !

— Non, je ne peux pas.

— Pourquoi ?

— Parce que j’y resterais et qu’il est convenu que nous ne quitterons Chanteloup qu’à la fin du mois.

— Pourquoi resteriez-vous ?

Le marquis fit un petit mouvement de dépit :

— Parce que je m’y trouverais bien et que quand je laisse un doigt de prise à ma fantaisie, elle me dévore tout entier. La gueuse est plus forte que moi.

— Vous vous calomniez, grand-père, vous êtes bien meilleur que vous ne pensez.

— Enjôleur !

La voiture de l’agent de change arrivait au bas du perron. Le marquis se tourna vers son fils avec une subite inquiétude :

— Rodolphe, tu ne vas pas le faire entrer ici ?

— Non, mon père, tranquillisez-vous. Je vais l’emmener chez moi. Alors, au revoir, Bernard, je ne te reverrai pas…

— Je pensais aller vous dire adieu.

— Non. Ne viens pas. Quand je suis en affaires…

Le comte Rodolphe sortit en envoyant de la main un signe au jeune homme et, l’instant d’après, on entendit sa voix et celle de M. Pignel dans l’escalier.

Le marquis était devenu songeur ; il s’était accoudé sur l’appui de la fenêtre et regardait devant lui. Mais la réflexion ne lui allait guère.

— Tu ne pars qu’à quatre heures, mon petit Bernard ?

— Oui, grand-père.

— Eh bien ! prends ton fusil et allons dans les bois. Il nous passera bien un lapin ou un ramier.

En se dirigeant vers la porte, l’un près de l’autre, ils côtoyèrent une glace qui descendait presque jusqu’au parquet.

M. de Cisay, qui marchait devant, s’arrêta un peu, ce qui força Bernard à s’arrêter aussi. Les yeux du marquis allaient de sa propre image à celle du jeune homme. Il s’y complaisait.

— N’est-ce pas qu’il me ressemble ?

Ce ne fut qu’un murmure, un mi-voix, un de ces échappements d’une pensée intime qui ne s’adressent à personne et ne demandent pas de réponse.

Bernard sourit, content par sa seule mine de faire plaisir à son grand-père, et M. de Cisay, continuant de comparer, en faisant comme d’habitude abstraction d’une génération.

— Le teint moins vif, à cause de sa grand’mère, qui était une fée blonde !…