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Le marquis, avant de répondre, se tourna vers son petit-fils.

— Entraînant un âne… Quelle façon prosaïque de traduire les choses. Nous qui rêvions, Bernard et moi, des temps chevaleresques.

— Ce n’est pas ma faute, répondit le comte, avec un demi-sourire, ni l’âne ni le siècle ne s’y prêtent.

— Peut-être !

— C’est fâcheux, dit Bernard.

Le comte regarda son fils qui tenait à la main l’écureuil.

— C’est toute ta chasse ? Voilà une fameuse matinée !

— Ingrat ! s’écria le marquis. Il nous rapporte un beau couple de perdreaux. Je gage qu’avec tes airs sérieux, tu n’as rien fait de plus utile ce matin.

Quelque chose de sombre passa sur le visage du comte, son front pâle se plissa légèrement :

— Je me suis occupé d’affaires.

— D’affaires ! soupira l’incorrigible marquis ; alors je fais plus que te plaindre… je te blâme !…

Le comte sourit, par convenance sans doute.

— Que voulez-vous, mon père ? à chacun son rôle ici-bas.

Et il se redressa pour se retirer de la fenêtre et rentrer dans sa chambre, pendant que le marquis et Bernard franchissaient le perron, bras dessus bras dessous.

Sur la troisième marche, M. de Cisay s’arrêta et huma l’air :

— Recueille-toi, Bernard. Ce fumet ne te dit-il rien ?

— Si fait. Il me rappelle notre chasse en plaine et les cailles…

— Parfaitement… Cette Gothon est vraiment une fine cuisinière. Il y a plaisir à lui apporter du gibier.

Bernard regarda M. de Cisay.

— Avec vous, grand-père, tout est plaisir, dit-il.

Le marquis lui passa le bras sur l’épaule, autour du cou, et ils entrèrent ainsi dans le vestibule, au moment même où Courtois s’avançait, la serviette à la main, et disait de son air imperturbable :

M. le marquis est servi !


II


Les trois de Cisay sont au salon.

Le marquis, assis dans une vieille bergère, recouverte avec d’anciennes robes de noces, digère les cailles et lit son journal, un journal gai, car il n’en aime pas d’autre. Son fauteuil est près de la cheminée, du côté droit, en face de la porte. C’est le fauteuil qu’affectionnait la marquise, c’est le fauteuil de la maîtresse de maison, et