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PERDU

d’entendre parler des fameuses fiançailles de miss Horatia. Une de ses nouvelles amies lui dit d’un ton de confidence :

— Est-ce que votre cousine n’a jamais causé avec vous du jeune homme qu’elle devait épouser ?

— Non, répondit Nelly, dont la curiosité s’éveilla très vite.

Dès cet instant, elle ouvrit les yeux et les oreilles pour saisir au vol les moindres indices qui pouvaient se rapporter au roman qu’on lui avait fait entrevoir.

Mélisse devait connaître mieux que personne les affaires de la famille. Elle chercha donc l’occasion de l’interroger.

Un matin que miss Horatia, ayant pris son ombrelle no 2, — l’ombrelle à franges, — était descendue majestueusement au village pour faire quelques acquisitions qu’elle n’eût confiées à personne, Mélisse commença d’écosser des petits pois sur le seuil de la cuisine. Aussitôt Nelly vint par le jardin, d’un air d’innocente flânerie, s’asseoir auprès d’elle en proposant de l’aider.

— Vous vous verdirez les doigts, dit la vieille. N’en prenez pas la peine. Je n’ai rien à faire que cela.

— Je n’ai rien à faire non plus, répondit Nelly, se mettant à son aise sur les marches bien balayées. Si mes doigts sont verts, ils peuvent se laver. Poussez donc le panier de mon côté ou bien j’éparpillerai partout les cosses et puis vous me gronderez.

Tout en aidant Mélisse de son mieux, elle cherchait un moyen de la mettre sur la pente de l’histoire qui l’intriguait si fort.

— Bon ! s’écria tout à coup la servante, j’ai oublié de dire à miss Ratia d’apporter des citrons pour mon gâteau. Et nous n’avons presque plus de moutarde et elle ne peut pas manger son rôti sans moutarde… tout juste comme autrefois le colonel… Je n’ai jamais vu de famille avoir le goût de la moutarde autant que celle-là. Chaque famille, du reste, a ses habitudes. Je m’étais pourtant endormie hier soir en répétant : citron, moutarde, moutarde, citron, et ce matin j’ai attaché un fil à mon petit doigt pour ne pas oublier. C’est à croire que je perds toutes mes facultés.

Il était rare que Mélisse se montrât aussi communicative, Nelly résolut d’en profiter. Attaquant la question avec courage après deux minutes de silence :

— Mélisse, dit-elle, quel était donc ce jeune homme que ma cousine a dû épouser dans le temps ? Il est curieux que je n’en sache rien et que mon père ne m’en ait jamais parlé.

— Je n’en sais pas plus long que vous peut-être, répliqua Mélisse en épluchant ses pois beaucoup plus vite. Jamais je n’ai entendu miss Ratia prononcer seulement son nom. Et pourtant elle a deviné que je voyais clair…, nous nous entendons. Des bavards,