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PERDU

Lorsqu’elle parla de ce projet comme d’une escapade, son père se mit à rire en l’avertissant de l’austérité qui régnait dans cet intérieur, où l’on ne s’amusait guère ; mais l’intrépide ne se laissa point décourager, et, en somme, le temps qu’il lui fut donné de passer à Longfield fut un temps heureux, heureux — surtout pour miss Horatia. Un rayon de soleil était entré chez elle avec le frais visage et les vingt ans de Nelly. Elle lui demanda timidement d’abord, puis avec instance de demeurer auprès d’elle tout l’été, même l’automne, au lieu d’une quinzaine.

Quand les gens du village virent miss Dane regarder affectueusement, à l’église et dans leurs promenades, cette jeunesse qui portait son nom, ils se dirent que Nelly aurait tout l’argent de la bonne demoiselle si elle jouait bien son jeu. Mais Nelly n’avait aucun sentiment mercenaire ; elle restait volontiers auprès de sa cousine parce qu’elle s’était mise à l’aimer. Peut-être même idéalisait-elle un peu ses qualités. La froideur, qui donnait tant de prix aux moindres paroles d’approbation sorties de cette bouche peu prodigue en compliments, lui semblait cent fois préférable à l’amabilité banale des personnes qu’elle avait le plus souvent rencontrées ; celles-là passaient en cinq minutes de l’indifférence à l’intimité, puis vous oubliaient également vite. C’est souvent le cas dans le monde.

Nelly, en outre, aimait à plaire, et jamais elle n’avait eu autant de succès qu’auprès de miss Dane et de sa vieille servante Mélisse. Les deux femmes écoutaient son babil joyeux sans se lasser jamais ; elles la trouvaient adroite comme une fée, l’aiguille à la main ; elles s’émerveillaient de ses toilettes. Nelly était élégante à peu de frais, raisonnable avec cela, économe et toujours occupée. Miss Horatia ne cessait de lui rendre cette justice ; Mélisse approuvait sans résistance, quoiqu’elle fût rarement de l’avis d’autrui, et le vieux domestique, André, un entêté à qui sa maîtresse même ne demandait rien sans mille précautions préalables, se serait mis dans le feu pour miss Nelly. Sans doute miss Nelly n’aurait pu souffrir la pensée de vivre sa vie entière au milieu de ces vénérables antiques, mais, en passant, c’était fort doux. Elle évitait avec soin tout ce qui aurait pu choquer les opinions surannées de miss Dane et ne montrait que le meilleur d’elle-même. Bientôt les gens du village furent tous de ses amis : une jeune fille fait de rapides conquêtes à la campagne, quand elle est jolie, avenante et versée dans les modes de la ville. On subissait d’ailleurs involontairement l’effet de ce tact qui ne s’acquiert que dans le monde, par un commerce habituel avec des personnalités différentes.

Nelly ne passa pas beaucoup de semaines à Longfield avant