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— Et M. le comte ?

— Pas content, Rosa, pas content du tout.

— Allons, dit-elle, assez satisfaite de son vieil associé, allons, c’est bien, Courtois ; nous reverrons cela demain, au clair du jour.

Au lieu de se mettre au lit, le comte était rentré dans son cabinet et s’était pris à réfléchir. Cette soirée avait irrité ses nerfs et affermi ses convictions. Ne pouvant plus douter que Bernard fût encore épris de Jeanne, il se préparait à agir en conséquence.

Sur sa table étaient rangés des papiers que Durandal lui avait apportés pendant la journée. C’étaient les contrats de prêts et d’hypothèques sur Chanteloup que le comte devait lire et présenter à la signature du marquis. C’est à peine s’il avait eu le temps de les regarder avant d’aller chez Mme de Ferrand.

— Laissez-les-moi, avait-il dit au notaire, et revenez demain. Nous signerons.

Il parcourut les pièces, le sourcil froncé. Durandal, pour atténuer l’humiliation, avait obtenu des prêteurs de ne pas prendre hypothèque sur le château et les réserves. Ils s’étaient contentés, comme garantie, de plusieurs fermes, choisies parmi les plus éloignées.

— Mais qui donc prête la somme ?

En feuilletant, il trouva la pièce qu’il cherchait et vit que le bailleur de fonds était un bonhomme de Chanteloup même, son propre adjoint :

— Diable ! dit-il entre ses dents, c’est désagréable. L’aurait-on cru si riche ? Il a économisé radis par radis.

Puis, repoussant les dossiers avec un geste violent, il se rejeta en arrière, dans le fauteuil :

— Et voilà le moment que choisit mon père pour papillonner avec Bernard autour d’une fille sans fortune !

Dans le silence de la nuit, les choses lui apparurent plus clairement encore. Il vit que Bernard était profondément amoureux de Jeanne. Il vit que le marquis était d’une faiblesse insigne. Il vit que leurs affaires d’argent étaient criardes et qu’il fallait les relever à tout prix. L’évidence lui en sauta aux yeux. Pour accomplir cette besogne, plus que jamais il se sentit seul.

— En principe, mon père est de mon avis ; en fait, il ne résiste pas à une impression.

Alors, en bon général, il s’en prit droit à l’obstacle :

— L’obstacle, c’est Mlle d’Oyrelles. Tant que Bernard y songera, je ne le convaincrai point de la nécessité d’une autre union.

Il se rendait parfaitement compte que Bernard, si on pouvait arriver à le détourner de Jeanne, n’aimerait pas de la sorte deux fois