Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/1053

Cette page a été validée par deux contributeurs.

glas, avec des tintements métalliques qui lui étaient odieux.

Quand il eut quitté Jeanne, il se retira dans un petit salon d’où il pouvait la voir encore. C’était le coin aux livres, un boudoir où Mme de Ferrand recevait ses intimes. Elle y avait réuni ce qu’elle possédait de plus exquis en fait d’œuvres d’art, et n’avait pas eu le courage de le déménager à l’occasion de la soirée, de sorte qu’on n’y dansait pas.

Bernard s’affaissa dans un fauteuil. Il regarda nonchalamment le petit salon qui n’avait point un air de fête comme le reste de l’appartement. On voyait qu’on s’y était tenu tout le jour. Un ouvrage en broderie pendait au bord d’une table et sur un chevalet, dans un angle, un dessin était ébauché. Bernard s’en approcha. C’était la Gerbière, peut-être l’œuvre de Jeanne dans la dernière après-midi. Il se tint debout, attentif aux moindres détails et cherchant celle qu’il aimait entre les arbres et les tourelles. Il s’oubliait encore une fois dans une contemplation. Rêveur incorrigible, oiseau de trop large envergure qu’un coup d’aile enlevait. Un bruit de voix le rappela subitement à lui-même. Deux personnes venaient d’entrer dans le petit salon pendant qu’il avait le dos tourné : Mme d’Oyrelles et le comte de Cisay. Ils causaient. Elle avait voulu lui montrer une tapisserie et ils étaient venus ensemble jusque-là. Tous deux, en surprenant Bernard, eurent un étonnement. Tous deux s’aperçurent qu’il regardait le dessin de la Gerbière et même qu’il rêvait en le regardant. Mais ni l’un ni l’autre ne le montrèrent. Bernard seul fut confus et troublé, en dépit de ses efforts pour n’en rien laisser paraître.

Pourtant le comte avait eu besoin de son empire sur lui-même et de tout son savoir-vivre pour ne pas trahir son mécontentement. Tout l’irritait dans cette soirée : la joie de Bernard, l’attitude du marquis, la présence de Jeanne. Mais il était beau joueur. Il fut donc aimable autant qu’il était capable de l’être et tint à se montrer en conversation polie avec Mme d’Oyrelles, sa voisine de campagne. Quant au marquis, il s’était décidément regimbé contre les préventions de Rodolphe. À mesure que la soirée s’avançait, il trouvait Jeanne plus séduisante. Elle lui avait positivement un peu tourné la tête. Plusieurs fois il était allé causer avec elle, et Mme de Ferrand lui avait dit en souriant :

— Vous vous croyez donc le droit de vous passer de ma permission pour faire un doigt de cour à ma filleule ?

Le comte avait par hasard entendu. Il était furieux, au fond de lui-même, furieux de cette fureur froide et concentrée, d’autant plus violente qu’il la dominait davantage. Aussi, quand la vieille voiture roula sur le pavé, les emmenant tous les trois, il se tint très sombre dans son coin. Le marquis, au contraire, en veine d’ex-