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— C’est vrai.

— Oui, oui. J’y ai souvent pensé. Il faut trois de Cisay pour faire un siècle. Tant bien que mal nous faisons le nôtre. Il n’est pas fameux, mais c’est égal ; comme vous le disiez tout à l’heure, il finit mieux qu’il n’a commencé.

— Je n’ai pas dit cela. Vous me faites parler.

— Non, je pense tout haut pour vous et pour moi. Nous sommes en progrès, c’est évident, et ma génération était elle-même en progrès sur le dix-huitième.

— Ah ! vous croyez ? dit-elle en souriant.

— Je me rappelle fort bien mon père. Il avait de diables d’idées libérales. Il était voltairien comme la Prusse, et quand il parlait de mon grand-père et de mon bisaïeul, ce n’était point pour édifier le prochain.

— Vous dites cela avec une fierté…

— Ce n’est pas ma faute. Il est clair que tout le monde n’a pas des ancêtres, et que ceux qui en ont ne peuvent pas les refaire.

— Et puis, vous en avez d’autres. Sous Louis XIV, il doit y avoir des braves ?

— Oui, ces trois-là savaient leur affaire. C’étaient des batailleurs, toujours l’épée en main. Il n’y a que le dernier qui, sur la fin de sa vie, très gêné de ses blessures, avait un peu tourné aux lettres.

— Je suis sûre que Bernard aime beaucoup fouiller vos vieux papiers ?

— Oui et non. Il est surtout occupé de l’avenir.

Mme de Ferrand devint attentive :

— Comment cela ?

— Oh ! il a d’étranges idées… des idées neuves. Il est un peu épris d’idéal, mon Bernard.

— Ce n’est pas un tort.

— Il sait qu’une aristocratie a des devoirs sociaux, qu’il faut que la noblesse reprenne sa place, à la tête de la société, et pour cela, il veut s’employer à la régénérer, par l’exemple, par l’habitation constante dans ses terres, par des œuvres qui se sont fondées dans ce but. Je les entends, ces jeunes gens qui se disent entre eux : « Nous allons reconquérir le sol de la France, pied à pied, comme les chevaliers, nos ancêtres, l’ont conquis sur les païens !… »

— Bravo ! bravo ! s’écria Mme de Ferrand. Comment s’y prennent-ils ?

— Ils s’associent, ils se groupent, ils mettent en commun leur zèle et leurs idées.

— De mieux en mieux. Il faudra que je le fasse causer là-dessus. Je ne savais pas qu’il fût si lancé.

— Oh ! il est en plein dans le mouvement. Rodolphe en rit. Moi,