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l’art et faisait de fort jolies aquarelles. Son mari, qui était mort depuis quelques années seulement, avait été un collectionneur. Il avait réuni de vieilles faïences, de vieux bahuts, de vieilles tapisseries, le tout avec beaucoup de goût et une véritable science d’antiquaire. Aussi l’appartement de Mme de Ferrand était un vrai musée. On n’avançait pas à regarder les choses curieuses qui s’y trouvaient groupées. Il en sortait un parfum de vétusté dû aux objets, à l’aspect grave et un peu recueilli de chaque pièce, à un ordre que rien ne troublait et à l’apparence même de la maîtresse de maison.

Mme de Ferrand n’avait jamais été mère. C’était une grande figure, pale, allongée, avec des yeux très doux, des manières parfaites, des mains effilées, aux tons de cire, et une sorte de lenteur monacale dans ses moindres mouvements. Elle était de ces gens qui font bien tout ce qu’ils ont à faire, mais auxquels il suffit de peu pour remplir une journée. Pourquoi se serait-elle pressée ? Rien dans sa vie n’avait jamais sollicité son activité, et les goûts de M. de Ferrand le portant aussi vers ce qui était tranquille et raffiné, ils s’étaient arrangé l’existence la plus perfectionnée du monde, existence qu’elle avait continuée depuis son veuvage. Chaque chose avait donc sa place : les objets, les amis, les études, la charité, les petits voyages, toujours les mêmes, et les causeries quand arrivait le soir. Car Mme de Ferrand causait fort bien. Plus instruite que la plupart des femmes, et en des branches diverses, n’ayant rien d’inopiné, rien de trop personnel, elle s’entendait merveilleusement à faire valoir son interlocuteur, à lui donner la réplique, à l’écouter et surtout à le mettre sur un terrain favorable. Son esprit ne visait pas au brillant et par là même ne choquait jamais. Elle glissait, ne heurtant pas plus les idées des autres que les faïences des tables. Cela ne l’empêchait pas d’avoir sa manière de voir ; elle n’apportait même aucun changement dans ses dispositions morales pas plus que dans ses installations extérieures, mais la forme était d’une aménité, d’une facilité, qui lui avait créé une réputation à part. Mme de Ferrand était une autorité. On comptait avec elle.

Quand Jeanne arrivait, toute cette tranquillité s’agitait un peu. Sa jeunesse, son entrain, jetaient une lumière dans ce clair-obscur, lumière qui allait éveiller un rayon jusqu’au fond sculpté des vieux bahuts. D’ailleurs, par un contraste assez fréquent, Mme de Ferrand aimait les natures expansives : « Tu me réchauffes, » disait-elle à Jeanne. Car c’était une de ses manies d’être glacée jusqu’au cœur de l’été.

Jeanne, ayant naturellement l’esprit très ouvert, comme elle avait les yeux, avait beaucoup profité des divers talents de sa marraine. Son goût s’était formé au contact des vieilleries artistiques.