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MESSIEURS DE CISAY[1]


IX


Comme le carnaval s’avançait, les fêtes se multipliaient. On avait peine à suffire aux invitations. On se plaignait d’être surmené. Mais on ne manquait à rien et, l’entraînement aidant, on trouvait moyen de suffire à tout. Une foule de gens qui, au commencement de l’hiver, avaient juré de rester chez eux, subissaient cet entraînement. La saison était vraiment brillante. MM. de Cisay sortaient beaucoup. Le marquis se laissait faire assez volontiers, ses goûts le portant vers tout ce qui était joie et mouvement. Les bruits de mariage allaient leur train. Chaque jour en voyait éclore. On parlait beaucoup de l’union probable du vicomte Bernard avec Mlle Fulston. Des intimes qui y avaient fait allusion devant le comte avaient reçu pour réponse un sourire. On savait que les de Cisay allaient souvent chez l’Américaine. Le marquis lui-même y était retourné plusieurs fois.

Un jour, cette nouvelle parvint aux oreilles de Frumand. Il en bondit :

— Non ! s’écria-t-il, non ! ce n’est pas possible !

On lui cita des faits. Il en fut frappé.

— Mais non, se répéta-t-il à lui-même. Bernard aimait une provinciale, il me l’a dit. Je le connais…

Et se mettant en colère, à la seule pensée que ce mariage pourrait être vrai :

— Ah ! c’est à désespérer du monde entier !

Le comte de Cisay semblait de plus en plus pressé d’en finir. Le marquis, au contraire, par répugnance instinctive, gagnait du temps. Bernard n’avait changé ni d’humeur ni d’attitude. Il avait assez de force de caractère pour demeurer impénétrable. La seule chose qu’il ne pût dissimuler était un état de souffrance qui lui enlevait la gaieté de son âge et de son caractère. Le marquis et le comte n’osaient ni l’un ni l’autre l’interroger à fond. Peut-être trouvaient-ils cela malhabile ; peut-être le caractère de Bernard leur en imposait-il à leur insu. Le marquis avait toujours, à inter-

  1. Voy. le Correspondant des 10 et 25 novembre, et 10 décembre 1887.