Page:Le Correspondant, tome 236, 1909.djvu/1212

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’orage, froidement, en rafales violentes et coupantes comme les bises de ces mers glacées qui avaient connu sa jeunesse.

— Je vais vous dire ce dont il retourne. Trop grands pour vos bottes. Vous vous prenez pour des gars supérieurs. Connaissez la besogne à moitié, faites votre devoir de même. Trouvez que c’est trop encore. Vous en feriez dix fois autant que ça ne serait pas assez.

— On a turbiné de son mieux, sir, cria une voix exaspérée.

— De votre mieux, tonna le patron. On vous en dit de belles à terre, pas vrai ? Ils ne vous disent pas là pourtant que, votre mieux, il n’y a guère de quoi s’en vanter. Je vous le dis, moi : votre mieux vaut encore moins que mauvais. Vous ne pouvez pas en faire plus ? Non, je sais, n’en parlons plus. Mais halte à vos farces ou je m’en charge. Je suis paré, halte là !

Il menaça d’un doigt l’équipage.

— Quant à cet homme, il éleva beaucoup la voix, quant à cet homme, s’il met le nez sur le pont sans ma permission, je le colle aux fers. U !

Il y eut un moment de profond silence.

— Il y a autre chose, dit le patron avec calme. Ceci.

Il fit un pas rapide et d’un mouvement balancé sortit de sa poche un cghillot de fer. Le geste fut si subit et si prompt que le groupe recula d’un pas. Il tenait ses yeux attachés sur les leurs, et quelques visages revêtirent incontinent une expression de surprise comme s’ils n’avaient jamais vu de cabillot auparavant. Le capitaine l’éleva : « Ceci est mon affaire. Je ne pose pas de questions, mais vous savez tous ce que parler veut dire : il faut que ceci retourne d’où c’est venu. » Les yeux s’allumèrent de colère. Le groupe piétina saisi d’un malaise. Ils détournaient les yeux de ce morceau de fer, ils semblaient timides, un embarras, une honte les troublait comme devant un objet répugnant, scandaleux ou choquant que la décence la plus vulgaire interdirait de brandir ainsi au grand jour. Le patron attentif observait :

— Donkin, fit-il d’un ton bref et incisif.

Donkin plongea derrière l’un, puis derrière l’autre, mais ils regardèrent par-dessus leurs épaules et s’écartèrent. Leurs rangs continuèrent à s’ouvrir devant lui, à se refermer derrière, jusqu’à ce qu’enfin il apparût seul devant le patron comme s’il avait surgi du pont même. Le capitaine s’approcha de lui. Ils avaient à peu près la même taille et, à courte portée, le patron échangea un regard meurtrier avec les petits yeux luisants. Ils clignèrent.

— Tu connais ça, demanda le patron.

— Non, j’connais pas, répondit l’autre, trépidant mais effronté.

— Tu es un chien. Prends-le, ordonna le patron.