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le soleil et dur comme diamant. Il tenait sa main droite dans la poche de sa veste que distendait du même côté un objet lourd. Un des matelots s’éclaircit la voix avec solennité :

— Je ne vous ai pas encore trouvés en faute, matelots, dit le patron, s’arrêtant court.

Il leur faisait face de son regard usé, couleur d’acier, qu’une illusion commune semblait fixer droit dans chacune des vingt paires d’yeux braqués sur les siens. Derrière lui, M. Baker, morose, grognait bas, du fond de son cou de taureau ; M. Creighton, frais et pimpant, les joues roses, avait l’allure résolue et prête à tout événement.

— Je ne me plains pas de vous pour le moment non plus, continua le patron, mais je suis ici pour mener ce bateau, et pour que chaque marin du bord fasse proprement sa besogne. Si vous connaissiez votre métier comme je connais le mien, il n’y aurait pas de désordre. Vous avez passé voire nuit à braire qu’on verrait demain ! Eh bien ! vous me voyez. Qu’est-ce qu’il vous faut ?

Il attendit, un pas vif le promenait de long en large devant eux, ses yeux scrutaient les leurs. Ils se dandinaient d’un pied sur l’autre, balançaient leurs corps ; quelques-uns, poussant en arrière leurs bonnets, se grattaient la tête. Que voulaient-ils ? Jimmy, on l’oubliait ; nul ne pensait à lui, seul à l’avant dans sa cabine, luttant contre de grandes ombres, cramponné à des mensonges sans pudeur, saluant d’un pénible sourire l’issue de sa transparente imposture. Non, pas Jimmy ; il n’eût pas été plus oublié, mort. Ils voulaient de grandes choses. Et soudain, tous les simples mots qu’ils connaissaient leur parurent perdus à jamais dans l’immensité de leur vague et brûlant désir. Ils savaient ce qu’ils voulaient, mais sans pouvoir rien trouver qu’il valût la peine de dire. Ils bougeaient sur place, balançaient au bout de bras musculeux de grosses mains, dont le goudron salissait les doigts déformés. Un murmure expira :

— Qu’est-ce ? La nourriture ? demanda le patron, vous savez que les vivres ont été gâtés au large du Cap.

— On sait ça, sir, dit un vieux gourganier barbu.

— Trop d’ouvrage ? Trop pour vos forces ? demanda t-il encore.

Un silence offensé tomba.

— Nous ne voulons pas manquer de monde, sir, commença enfin Davies d’une voix mal assurée, et ce noir-là…

— Assez ! cria le patron.

Il resta immobile à les toiser un moment, puis marchant quelques pas de ci de là commença de leur dire leur fait, déchaîna