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Belfast, l’œil arrondi, s’abîmait en ses réflexions. Un ou deux matelots se bissèrent, patauds, dans les couchettes supérieures, et, une fois là-haut, poussèrent un soupir, d’autres, plongeaient tête première dans les alcôves de plain-pied, très prompts, et faisant instantanément demi-tour sur eux-mêmes, comme une bêta gagnant sa bauge.

De toutes parts, des hommes invisibles dormaient, respirant avec égalité. Donkin sembla puiser de l’audace et de la fureur dans la paix environnante. Venimeux, hâve, ses yeux luisants erraient des vêtements d’emprunt où ballottait sa dégaine, autour de lui, comme en quête de choses à fracasser. Son cœur sautait follement dans sa poitrine étroite. Ils dormaient ! Il lui fallait des cous à tordre, des yeux à crever à coups d’ongle, des visages ou cracher. Il brandit une paire de poings osseux vers les lumignons qui charbonnaient.

— Vous n’êtes pas des hommes ! cria-t-il d’un timbre amorti.

Personne ne bougea :

— Vous n’avez pas le courage d’un rat !

Sa voix monta au diapason d’un cri enroué. Puis il s’assit lourdement ; il soufflait avec force à travers ses narines frémissantes, il grinçait et claquait des dents, et, le menton incrusté dans la poitrine, il paraissait fouir dans sa chair vive comme pour atteindre son cœur au travers…

Ce matin là, le navire, à l’aube d’un nouveau jour de sa vie vagabonde, revêtit un aspect de fraîcheur somptueuse comme la terre aux jours printaniers. Les ponts lavés miroitaient longs, spacieux et clairs ; le soleil oblique arrachait aux cuivres jaunes un éclaboussement d’étincelles, dardait ses traits d’or sur les barres polies, et les gouttes d’eau de mer isolées, oubliées par endroits le long de la lisse, étaient aussi limpides que des gouttes de rosée, et jetaient plus de feux que des brillants épars. Les voiles dormaient, bercées par une brise douce. Le soleil montant solitaire et splendide dans le ciel bleu vit sur l’eau bleue glisser, courant au plus près, un vaisseau solitaire.

Les hommes se pressaient sur trois rangs de profondeur à hauteur du grand mât, et en face de la cabine du commandant. Ils poussaient, se bousculaient, mines irrésolues, faces mornes. A chaque mouvement léger, Knowles flanchait lourdement du côté de sa jambe trop courte. Donkin glissait derrière les dos, inquiet et sur l’œil, comme un homme en quête d’une embuscade. Le capitaine Allistoun sortit tout à coup. Il marcha de long en large devant le front du groupe. Il était gris, mince, alerte, râpé sous