Page:Le Correspondant, tome 236, 1909.djvu/1181

Cette page n’a pas encore été corrigée

Sa voix sembla rompre un charme mortel. Les matelots commencèrent à remuer, à ramper.

— Je veux qu’on hisse le petit foc et vivement, dit le patron très fort, si vous ne pouvez pas le faire debout, faites-le couchés, voilà tout. Débrouillez-vous !

— Allons-y, donnons au vieux rafiot une chance de s’en tirer, appuya le maître.

— Oui ! oui ! Virez, chevrotèrent quelques voix.

Les gabiers de beaupré, à contre-cœur, se préparèrent à marcher. M. Baker à quatre pattes, grognant, montra la route et ils suivirent par-dessus le fronteau. Les autres restèrent sans mouvement, avec au cœur l’espoir vil de n’avoir point à changer de place jusqu’à ce qu’ils fussent sauvés ou noyés en paix.

Après quelque temps, on put les voir à l’avant apparaître sur la pointe du gaillard, un à un, en postures périlleuses. Sans arrêt, avec d’étranges contorsions, ils agitaient les bras, s’agenouillaient, se couchaient à plat, puis se relevaient chancelants, comme s’ils s’appliquaient de toutes leurs forces à se jeter par-dessus bord. Soudain, un petit morceau blanc de toile battit au milieu d’eux, grandit, claquant au vent. Son étroit sommet monta par saccades, et enfin il se dressa triangulaire et gonflé dans le soleil.

— Ça y est ! cria-t-on de l’arrière.

Le capitaine détacha la corde enroulée à son poignet et roula la tête la première du côté du vent. On le vit larguant les boulines derrière tandis que le ressac des vagues l’inondait.

— Brassez carré la grande vergue, nous cria-t-il d’en bas, tandis que nous l’observions étonnés. Nous hésitions.

— Le grand bras, vous autres ! Halez ! halez de manière ou d’autre ! Couchez-vous sur le dos et halez, hurla-t-il, à demi submergé au-dessous de nous.

Nous ne pensions pas pouvoir manœuvrer la grande vergue, mais les plus forts et les moins découragés tâchèrent d’obéir. Les autres, à contre gré, regardaient. Les yeux de Singleton flambèrent tout à coup, comme il réempoignait les manettes de la roue. Le capitaine Allistoun grimpa.

— Halez, les gars ! Tâchez de la bouger. Halez, aidons le navire.

Les muscles frémissaient dans son dur visage allumé de colère.

— Part-il, Singleton ? cria-t-il.

— Rien encore, sir, grinça la voix horriblement rauque du vieux matelot.

— Attention à la barre, Singleton, cria le patron, en crachant de l’eau salée. Halez, les gars ! Vous n’avez donc pas plus de force que des rats ? Halez, gagnez voire pain.