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plainte, moitié ronflement. M. Baker le secoua par les épaules :

— Hé, coq ! Réveille-toi, Podmore ! Dis-moi, y a-t-il de l’eau à boire dans la caisse à eau de la cuisine. Le bateau donne moins de bande, il me semble ; j’ai envie d’aller à l’avant. Un peu d’eau leur ferait du bien. Hé quoi ? Attention ! Prends garde !

Le coq se débattait.

— Pas vous, sir, pas vous !

Il se mit à grimper du côté du vent.

— La cuisine !… ça me regarde, cria-t-il.

— Le coq qui perd la boule à présent, firent plusieurs voix.

— Perdre la boule, moi ! vociféra-t-il. Je suis plus prêt à sauver mon âme que pas un de vous, officiers compris, là ! Tant qu’on est à flot, je ne lâche pas mes fourneaux ! Je vais vous faire du café.

— Coq, tu es chic, pleura Belfast.

Mais le cuisinier escaladait déjà l’échelle. Il fit halte un moment pour crier vers la dunette : « Tant qu’on est à flot, je ne lâche pas mes fourneaux » ! puis disparut comme par-dessus bord. Les hommes qui avaient entendu le suivirent d’un hourra. Cela sonna comme un vagissement d’enfants malades. Une heure après, peut-être davantage, quelqu’un prononça distinctement :

— Il est parti pour de bon.

— Probable, déclara le maître d’équipage, même par beau temps, il était aussi adroit de ses pieds sur le pont qu’une génisse à son premier voyage. Faudrait aller voir.

Personne ne bougea. Au cours des heures lentes qui s’étiraient à travers l’ombre, M. Baker rampa plusieurs fois d’un bout de la dunette à l’autre. Quelques-uns crurent l’entendre échanger à voix basse des paroles avec le patron, mais à ce moment les souvenirs avaient pris une importance et un relief incomparablement supérieurs à rien d’actuel, et ces murmures, nul n’était certain de les avoir entendus alors ou nombre d’années auparavant. Ils ne tentèrent pas d’approfondir. Qu’importait un mot chuchoté de plus ou de moins ! Il faisait trop froid pour se mettre en frais de curiosité voire presque d’espérance. Il leur semblait impossible de voler un moment ou une pensée à l’unique occupation mentale qui les absorbait : le désir de vivre. Et le vœu de vivre les gardait vivants, apathiques, aguerris sous la cruelle persistance du vent et du froid ; tandis que le noir dôme constellé du ciel effectuait sa révolution lente au-dessus du navire qui dérivait, portant leur patience et leur épreuve à travers l’orageuse solitude de la mer.

Pressés l’un contre l’autre, ils se figuraient être absolument