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parti immense. Alors le gouvernement françois n’étoit occupé que de guerres intestines. Le duc d’Orléans, à la tête de plusieurs grands du royaume, étoit en armes contre Charles VIII, qui, après les avoir remis dans leur devoir, avoit tourné ses vues sur le royaume de Naples. Les Dieppois n’instruisirent pas le gouvernement d’une découverte si importante, de laquelle il n’avoit nulle idée ; ils n’avoient que trop d’expérience du peu de cas qu’il faisoit du commerce maritime ; ils résolurent donc d’en profiter seuls, à l’exclusion de toute autre nation. Ils armèrent à cet effet plusieurs navires pour les grandes Indes, dont Descaliers leur assuroit l’accès possible, par la facilité trouvée de tourner l’Afrique.

« Cousin lors de son rapport s’étoit plaint des inquiétudes et des peines que son second capitaine, nommé Pinçon, lui avoit données pendant son voyage. Cet homme dur et jaloux de caractère, étoit, à la vérité, plus ancien marin que Cousin ; mais il ignoroit, ainsi que ceux de son temps, l’hydrographie, science que Descaliers venoit de faire éclorre, et que Cousin mettoit en pratique. Vincent Pinçon n’avoit pu voir la science de ce dernier, sans jalousie, et, pendant la traversée, il n’avoit manqué aucune occasion de donner des marques de la passion qui le dévoroit. Dès qu’il eut vu Cousin quitter les côtes pour voguer au milieu des mers, où l’on n’avoit point encore pénétré, il avoit tâché de faire révolter l’équipage contre leur capitaine. Ce n’étoit, disoit-il aux matelots, qu’un jeune téméraire, qui n’avoit que l’envie de périr ou de se distinguer par la découverte de pays inconnus ; qu’il étoit lui, Pinçon, ainsi qu’eux, bien malheureux qu’on eut confié leurs vies à un pareil étourdi, qui les rendroit victime de sa folle imagination ; qu’il craignoit à tout instant de voir le vaisseau se briser sur quelque rocher qui se trouveroit dans une mer inconnue.

« Ces discours avoient fait leur effet sur une partie de l’équipage, et Cousin avoit eu besoin de toute sa fermeté