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crise ou limite commune. Du reste, la loi n’est pas si simple… puisqu’elle me néglige, — et — je suis ici. »

Il ajouta : « L’éclairage les tient. »

Je dis en riant : « Vous aussi ? »

Il répondit : « Vous, aussi. »

« — Quel dramaturge vous feriez ! lui dis-je, vous semblez surveiller quelque expérience créée aux confins de toutes les sciences ! Je voudrais voir un théâtre inspiré de vos méditations… »

Il dit : « Personne ne médite. »

L’applaudissement et la lumière complète nous chassèrent. Nous circulâmes, nous descendîmes. Les passants semblaient en liberté. M. Teste se plaignit légèrement de la fraîcheur de la nuit. Il fit allusion à d’anciennes douleurs.

Nous marchions, et il lui échappait des phrases presque incohérentes. Malgré mes efforts, je ne suivais ses paroles qu’à grand’peine, me bornant enfin à les retenir. L’incohérence d’un discours dépend de celui qui l’écoute. L’esprit me paraît ainsi fait qu’il ne peut être incohérent pour lui-même. Aussi me suis-je gardé de classer Teste parmi les fous. D’ailleurs, j’apercevais vaguement le lien de ses idées, je n’y remarquais aucune contradiction ; — et puis, j’aurais redouté une solution trop simple.

Nous allions dans les rues adoucies par la nuit, nous tournions à des angles, dans le vide, trouvant d’instinct notre voie, — plus large, plus étroite, plus large ; son pas militaire se soumettait le mien…



— « Pourtant, répondis-je, comment se soustraire à une musique si puissante ! Et pourquoi ? J’y trouve une ivresse particulière, dois-je la dédaigner ? J’y trouve l’illusion d’un travail immense, qui, tout à coup me deviendrait possible… Elle me donne des sensations abstraites, des figures délicieuses de tout ce que j’aime, — du changement, du mouvement, du mélange, du flux, de la transformation… Nierez-vous qu’il y ait des choses anesthésiques ? Des arbres qui saoulent, des