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LE BÂTARD DU ROI

— Il ne m’appartenait pas, répondit-il, d’interdire l’entrée du château à celle qui, portant votre nom, était en ces lieux légitime souveraine et maîtresse.

— Certes… et cette arrivée clandestine, en mon absence, presque au lendemain de mon départ, vous sembla, n’est-ce pas, la chose du monde la plus naturelle ? Vous ne vous êtes pas douté un instant que cette femme venait ici, non pour me rejoindre, mais pour me fuir ?

Le marquis persiflait, les lèvres serrées, la voix sèche et coupante.

— Faites excuse, Monsieur Charles, riposta, toujours impassible, Guillaume Guégan. Le soir même de son arrivée, la marquise avait jugé à propos de m’en instruire.

— Ceci est parfait, en vérité !… Et vous avez accepté de faire le jeu de cette aventurière !… Vous l’avez reçue, hébergée, cachée sciemment… Et vous vous gaussiez entre vous, j’imagine, de mes angoisses, de mon désespoir !… Car, pendant qu’elle se riait, à l’abri de ces murs, du plus farouche hiver qui ait désolé le siècle, moi je courais l’Europe à sa recherche, en poste, à cheval, en traîneau, battu de la neige et du vent, suivant à la trace de ville en ville, de bourgade en bourgade, les troupes de Tziganes errants, criant son nom dans les auberges, dans les bouges, dans l’écho des montagnes, dans le silence glacé des plaines, et cela, jour et nuit, sans repos ni relâche, le corps moulu, l’esprit égaré, le cœur en détresse, achevant de me tuer pour elle et, d’ailleurs, y réussissant, n’est-il pas vrai, maître Guillaume ? Je rapporte à Plégat mon cadavre. Vous devez être content !

Il n’en put dire plus long ; ses jambes se dérobaient sous lui. Il se fût affaissé sur le parquet, si l’intendant