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RÉCITS DE PASSANTS

« Moi, voici comme elle me tomba sous la main. J’avais alors dix-sept ans. Mon père, qui était taupier, m’avait enseigné son état. J’allais offrir mes services de ferme en ferme, mon boyau sur l’épaule, un bissac en bandoulière. J’étais un garçonnet paisible, de mœurs rangées, jovial, du reste, toujours un bout de chanson aux lèvres, et, à cause de cela, partout le bienvenu. Sans cesse par monts et par vaux, j’apprenais au passage les nouvelles, les mariages, les décès, les aventures de jeunes gens, le prix du blé, d’autres choses encore, telles que les oraisons pour guérir, les miracles accomplis par les sources des saints, et aussi les contes qui font rire, les histoires tristes qui font pleurer.

« Dès qu’on me voyait paraître à l’entrée de la cour, le bouvier en train de curer l’étable ou la servante en train de donner à manger aux porcs s’écriaient :

« — Il arrive, le gohéter (taupier) !

« Dans les grandes fermes, je restais quelquefois jusqu’à huit jours de rang ; dans les petites, deux jours, trois jours au plus. Dans toutes j’étais également bien traité. Je partais pour les champs, pour les prés, à la prime blancheur de l’aube. Oh ! les jolis levers du soleil que j’ai contemplés en ces temps-là et qu’ils me semblaient beaux, vus par mes yeux d’adolescent I… Sur les dix heures, un pâtre, souvent aussi la fille même de la maison, me venait apporter à déjeuner : une écuellée de soupe d’oing, une tranche de lard, un morceau de pain de seigle… C’est ainsi qu’un matin d’avril je fis connaissance avec Néa Garandel.

« Un bien modeste domaine, la terre des Garandel sise en la paroisse de Mantallot, sur une des pentes de la vallée du Jaudy. Un logis en chaume, deux ou trois crèches délabrées, un mulon de paille autour d’une perche,