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LES DEUX AMIS

de la Grand’Lande. Ses habits gisaient en tas à ses pieds et, non loin, des lambeaux rouges et bleus, des haillons d’uniforme finissaient de pourrir dans la boue d’un sillon. Très vite, il endossa ses hardes et cria :

« — Blanchona ! Blanchonik !

« Un hennissement joyeux monta de la route qui longeait le bas de la friche. La bonne jument, toujours attelée, broutait au talus les pousses des jeunes ajoncs.

« Quand, ce matin-là, Noël parut au premier déjeuner, les gens s’accordèrent à lui trouver l’air malade. Il affirma qu’il se portait à merveille. Jean Bleiz, lui, demeurait tout songeur, le nez dans son écuelle. Les domestiques partis pour les champs, il dit à son fils.

« — Je te l’ai souvent répété, Noël ; mais tu ne prends pas assez de distractions. La lettre que tu as reçue d’Evenn a dû te mettre en repos. Profites-en pour t’amuser un peu. La herse que nous avions commandée à Morlais, au début de l’hiver, est prête depuis trois semaines. Attelle la Blanchonne et fais le voyage. Tu verras par la même occasion la foire de février. Nous sommes au mardi : je te donne campos jusqu’à dimanche.

« Jean Bleiz dit cela d’un ton paterne, en homme qui n’en pense pas plus long. N’empêche qu’il avait son idée d’en dessous. Et croyez qu’il ne fut pas aussi étonné qu’il feignit de l’être, lorsque son fils Noël lui repartit :

« — La Blanchonne, mon père, tire sur l’âge. Elle a fait un brave service. M’est avis qu’il conviendrait de lui épargner les courses longues. Et, pour ce qui est de moi, je vous avoue que les boutiques de la foire de Morlaix me tentent médiocrement.

« — N’en parlons plus, conclut Jean Bleiz.

« Mais, le soir, dans le lit clos, la résine éteinte, il dit à sa femme :