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RÉCITS DE PASSANTS

« — Non, j’ai froid, extraordinairement froid.

« — Et bien ! je brûle, moi ; c’est une souffrance mille fois pire. Mais il faut expier, vois-tu, il faut expier.

« — Expier quoi, Evenn, toi dont la vie a été pure comme une soirée d’août, toi dont la mort a été le plus simple et le plus entier des dévouements ?

« — Je t’ai trop aimé, Noël. Ce fut mon crime… Quand l’éclat d’obus fut entré dans mon flanc, Dieu me laissa presque une heure d’agonie pour implorer sa miséricorde, avant de comparaître devant son tribunal. J’aurais dû ne penser qu’à lui, mais ce furent des images de Rozvélenn qui me passèrent devant les yeux, au moment suprême, et, en exhalant le dernier soupir, ce fut ton nom que j’eus sur les lèvres… Si seulement tu avais hésité à me suivre en ce lieu, tu retardais ma délivrance d’autant de siècles que les sabots de la Blanchonne ont frappé de fois la terre des défunts.

« Un flot de larmes inonda les joues de Noël.

« — Tu as beaucoup de mal ? lui demanda le fantôme.

« — Je voudrais en avoir dix mille fois plus, soupira-t-il.

« À peine avait-il parlé de la sorte qu’une cloche tinta. Oh ! mais des sons tristes à vous fendre le cœur, un glas rapide, puissant, sauvage, un glas inattendu ! Evenn dit :

« — C’est l’Angélus des morts… Retourne au rivage, tu y retrouveras tes vêtements auprès des miens. Ne touche pas à ceux-ci, fût-ce du bout du doigt, fût-ce du bout du pied. Demain, à la même heure, je serai sur le seuil de l’écurie. Va.

« Noël ouvrait la bouche pour répondre, mais déjà l’ombre de son ami le plus cher, et l’étang de mystère, et la plaine lugubre s’étaient dissipés comme de vaines apparences. Le jeune homme grelottait tout nu, au milieu