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RÉCITS DE PASSANTS

malheur rôde autour de nous. Nous pensions l’avoir conjuré, et voici qu’il est à notre porte. J’ai peur…

« Jean Bleiz essaya de raisonner la pauvre ménagère ; il ne la rassura point, car il tremblait lui-même, agité de sombres pressentiments.

« On entrait dans les mois venteux. Déjà l’hiver s’éloignait, courbant son vieux dos, vêtu de misérables nuages en haillons. Toutefois, il n’avait pas encore disparu derrière les croupes brumeuses des ménez.

« C’était un samedi. Tout heureux d’avoir reçu le matin une lettre d’Evenn, datée de quinze jours auparavant, « dans la tranchée, sous Sébastopol », Noël était sorti de sa réserve ordinaire, s’était montré presque gai pendant le repas et, finalement, avait fait à haute voix la lecture de la lettre, devant un auditoire composé de ses parents, des domestiques et de quelques voisins venus pour la veillée.

« Evenn annonçait qu’il se portait à merveille, qu’on allait prochainement donner l’assaut, contait en peu de mots de menues histoires du siège et demandait à Noël de lui écrire de longues nouvelles. Il s’informait de tout et de tous, des gens et des bêtes, des labours aussi, voulait savoir si le défrichement de la Grand’Lande avait produit les résultats espérés et si le blé noir qu’on y avait semé avait été d’un bon rendement.

« Noël lut de la première ligne à la dernière, et même la signature. Puis il dit :

« — Je vais lui répondre tout de suite. Bonsoir.

« — Tu lui enverras nos bénédictions, s’écrièrent Jean Bleiz et sa femme.

« — Et nos souhaits de prospérité ! firent les voisins, les valets de ferme, les servantes.

« Le jeune homme gagna l’écurie, suspendit son fanal