Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
LES DEUX AMIS

chevaux que voilà, Evenn, qui nous regardent et qui m’écoutent, tout me crierait : Malheureux ! qu’as-tu fait de ton frère ?

« — Noël, Noël, je reviendrai ; sois-en sûr, affirmait Evenn, remué jusqu’aux entrailles.

« Noël Bleiz eut une idée singulière, une idée insensée, épouvantable.

« — Tu reviendras, dis-tu ?… Eh bien ! jure-le, que tu reviendras !

« Ses yeux jetaient des flammes. Evenn répondit doucement :

« — Y songes-tu, ami ? Ce serment, si je te le faisais, dépendrait-il de moi de le tenir ?

« — J’admets que cela dépende de toi ?

« — Oh ! alors sois content. Je jure des deux mains.

« — Vivant ou mort, n’est-ce pas ?

« Evenn, à cette question, frissonna, comme frôlé d’avance par le coup de faux de l’Ànkou. Il prononça néanmoins d’une voix ferme, sur le ton solennel qui convenait à un pareil engagement :

« — Vivant ou mort. Je le jure !

« — C’est bien. Nous sommes quittes, dit Noël. Maintenant que j’ai ton serment, je ne me repens plus du mien.

« Il n’avait pas achevé ces mots que la lanterne qu’ils avaient laissée brûler tout la nuit, suspendue à un des râteliers, s’éteignit brusquement, faute de suif peut-être, peut-être aussi pour une autre raison. La Blanchonne — une vieille jument — se mit à rêver tout haut, en gémissant, oppressée par quelque cauchemar. Et, dans la cour, un coq chanta.

« — C’est le jour, dit Evenn.

« — Le jour des adieux, murmura Noël chez qui succédait au délire un morne apaisement.