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RÉCITS DE PASSANTS

« — Parce que j’ai une demande à te faire et que j’ai peur que tu me refuses.

« — T’ai-je jamais rien refusé, à toi qui m’es plus qu’un ami, plus qu’un frère ?

« — Eh bien ! promets-moi que tu m’accorderas encore cette grâce-ci.

« — Tout ce que tu voudras, pourvu que ce soit en mon pouvoir.

« — Jure-le.

« Noël cracha, selon l’usage, dans le creux de sa main droite, et leva la paume ouverte vers le ciel.

« — Je le jure, fit-il.

« — Tu me donnes donc la plus grande joie que j’aie jamais rêvée en ce monde, reprit Evenn. Je vais enfin pouvoir m’acquitter de ma dette envers toi et envers tes parents. Tu te rappelles, Noël, ce soir d’octobre où l’on porta ma mère en terre, pour la réunir à son mari, à mon pauvre, à mon malheureux père, Dieu lui fasse paix ! Je sanglotais au pied de la tombe, suppliant Dieu de me faire mourir, moi aussi, maintenant que je n’avais plus personne, plus rien, pas même un toit, puisque la vente avait eu lieu l’avant-veille à Rozvélenn et que le nouveau fermier attendait, avec ses meubles, dans la cour, tandis que le cercueil de la défunte franchissait le portail. Soudain, j’entendis une voix qui me disait : « Viens, Evennik ! ton lit est fait chez nous. » Grâce à toi, Noël, grâce à Jean Bleiz et à Glauda, je n’ai pas connu l’amertume du pain mendié. J’ai eu la nourriture du corps et cette autre nourriture, la plus nécessaire de toutes, celle de l’âme. J’ai été aimé, moi l’orphelin, moi l’enfant de misère et d’abandon. Pas un matin je ne me suis réveillé sans te bénir, toi et les tiens. Mais comment vous prouver à tous que vous n’aviez point obligé un ingrat ? En