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LES DEUX AMIS

« Et ils restaient songeurs, tristes, sans foi dans l’avenir, murmurant chacun & part soi :

« — Si du moins le sort était tombé sur Evenn.

« Quant à acheter un remplaçant, cela n’était pas dans leurs moyens. Le « marchand d’hommes » demandait trop cher.

« Cependant les jours s’écoulaient, rapprochant le terme fatal.

« Evenn n’avait pas été sans voir que Jean Bleiz avait beaucoup perdu de sa vaillance à la tâche et que Glauda, à table, sitôt qu’elle fixait les yeux sur son fils, se détournait pour essuyer furtivement une larme.

« — Allons, se dit-il un matin, au saut du lit, il faut qu’aujourd’hui je me décide à parler.

« Le hasard favorisa son dessein. Quand il vint prendre les ordres du maître pour la journée, Jean Bleiz s’exprima de la sorte :

« — J’ai résolu de commencer à défricher la Grand’Lande. Tu guideras les chevaux et Noël conduira la charrue. Buvez tous deux un bon coup de cidre, car les souches sont vieilles et le travail sera dur.

« Voilà nos gaillards partis. Quand ils furent seuls, avec l’attelage, là-haut sur le versant du Ménez, dans la Grand’Lande. Evenn dit à son ami Noël :

« — Laissons souffler un peu les bêtes avant d’entamer la première tranchée, et asseyons-nous sur cette roche plate qui est, si l’on en croit les vieilles femmes, le tombeau d’un saint inconnu. Regarde comme on voit bien de cette place tout le pays !

« — Comme tu prononces ces paroles d’un ton étrange ! prononça Noël. Ta voix tremble.

« — Peut-être, car mon cœur bat avec violence.

« — Pourquoi ?

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