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LES DEUX AMIS

trop. Va donc aux pardons, avec les camarades, et danse, et amuse-toi.

« Lui souriait, se contentait de répondre doucement :

« — Que voulez-vous ? Je suis comme je suis. Mon plaisir n’est pas où est celui des autres ; voilà tout. D’ailleurs, je ne suis pas seul de mon espèce. Est-ce que Evenn, sous ce rapport, n’est pas tout mon portrait ?

« Le vieux Jean Bleiz, alors, de conclure :

« — Ce qui me déplaît chez toi ne me plaît pas davantage chez ton Evenn.

« Mais, me demanderez-vous, qu’était-ce que cet Evenn ?

« Voici.

« C’était un jeune homme du même âge que Noël Bleiz, et son inséparable. Son père avait tenu, jadis, la ferme de Keranroué dont les terres touchent celles de Rozvélenn. Mais le pauvre René Mordellès, — c’était son nom, — quoiqu’il fût, lui aussi, un maître laboureur, avait toujours été desservi par la malechance. Au lieu que les cultures de Jean Bleiz, son voisin, prospéraient de plus en plus, d’année en année, les siennes, quelque peine qu’il se donnât, tournaient toujours contre son attente. Il y a comme cela des domaines et des gens sur qui pèse une fatalité. René Mordellès épuisa, on peut dire, toutes les infortunes. Ses bêtes crevaient, sans qu’on sût de quelle maladie ; l’eau noyait ses foins ; sa moisson se desséchait sur pied. Un hiver, la foudre tomba sur sa grange. Il lutta longtemps, finalement fut vaincu. La tristesse et le désespoir s’emparèrent de lui et le conduisirent à la tombe. Sa veuve ne tarda pas à le suivre dans la mort.

« Restait un enfant, Evenn, ou, comme on l’appelait alors, à cause de son jeune âge, Evennik.

« Il venait d’avoir dix ans et se préparait à sa première