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La cloche tinte, tinte, tinte... Une âme d'homme s'est éteinte !

La cloche noire tinte ; hélas ! C'est pour l'Aîné des Keranglaz.

Et le poète reconstrusait à sa façon la scène tragique de la hutte. Marguerite Charlès avait attiré le jeune homme dans un guet-apens. Elle l'avait endormi à l'aide d'un philtre, puis, traîtreusement, l'avait assassiné...



...La jeune fille, cependant, vivait avec les Rannou de leur belle existance errante dans la forêt du Roscoat. Kaour ne lui avait pas menti. Dans ces profondes et verdoyantes solitudes, entourée par les trois frères d'une sorte de vénération naïve, elle avait vu s'évanouir l'un après l'autre tous les mauvais souvenirs de son passé. De Nann, du fils de Keranglaz, de tant de misères et d'humiliations, à peine lui restait-il de vagues images : encore eût-il fallu qu'elle les allât chercher tout au fond d'elle-même. Les journées se déroulaient pour elle avec une monotonie apaisante et grandiose. Dès le matin, les frères partaient. Pour quelles avantures ? Elle n'en avait souci de le savoir ; eux, de leur côté, s'en taisaient avec elle soigneusement. Ils rentraient à des heures irrégulières. Souvent ils avaient des taches de sang à leur vestes : du sang de bête, peut-être aussi du sang d'homme. D'ordinaire on soupait tous ensemble aux premières étoiles. C'était le moment des causeries, la veillée en commun sous les hautes ramures à travers lesquelles les astres brillaient, comme de claires chandelles lointaines. A vrai dire, il n'y avait guère que la Charlézenn qui causât. Les Rannou étaient des taciturnes. Puis, ils