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LA CHOUETTE

à présent le sol. Tu en as entendu les cloches convier gaiement les gens d’alentour au pardon du saint… Mais le passé est le passé, n’est-ce pas ?

Ainsi je parlais à la chouette, les yeux fascinés par ses immobiles prunelles où scintillaient des points d’or, semblables à des étoiles dans le velours bleuâtre d’un firmament assombri.

— Or çà ? me dis-je à part moi, réintégrons cette pauvre aveugle dans son domicile.

J’écartai les lierres pendants qui voilaient le nid d’où je l’avais vue s’envoler, et j’allais y déposer l’oiseau, quand les lianes soulevées découvrirent, non point un nid quelconque dans une anfractuosité de muraille, mais bien une de ces armoires à double compartiment que les maçons ménagent dans les églises, à la droite du chœur, pour recevoir les fioles saintes.

Et elles s’y trouvaient encore, les fioles, au nombre de deux, l’une pour le vin, l’autre pour l’eau, encrassées, il est vrai, prises dans les trames superposées d’innombrables toiles d’araignées auxquelles elles avaient probablement dû leur préservation. Et, près d’elles, un livre gisait, un missel énorme, très ancien, garni de lourds fermoirs de métal, avec des moisissures, des lèpres, des plaies d’humidité suppurante, de larges taches de vert-de-gris. La dorure des tranches, toutefois, apparaissait bien conservée, par places.

La vue du livre me fit oublier la chouette qui s’était rencoignée peureusement dans un des angles du réduit.

Il me tenta, ce missel ; et je le pris, avec le sentiment, du reste, que je commettais un affreux larcin, car je le cachai sous ma veste, pour remporter, et m’enfuis à pas de loup, comme un voleur. Je dois ajouter qu’une vilaine pensée m’était venue, — une pensée de lucre. L’ou-