Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
LA NOËL DE JEAN RUMENGOL

marraine, Jean Rumengol avait ouvert tout grand ses yeux. Il n’osait les en croire. Au fond, il avait peur. Cette réalisation imprévue du plus tenace et du plus impossible de ses vœux le terrifiait. Il aurait voulu fuir, se retrouver dans le Menez, la tête appuyée au Berm-Meïn, échapper n’importe comment à cette vision tant souhaitée des choses d’autrefois, redevenues actuelles, présentes, vivantes, trop vivantes ! Mais ses pieds s’étaient comme enracinés dans le sable. Il était prisonnier de son propre songe. Peut-être qu’en implorant sainte Marie ?… Il joignit les mains, entrouvrit la bouche, pour la supplier. Elle avait disparu. Disparu aussi le Mabik.

Il ne restait d’eux que cette grande clarté enveloppant quatre villes mortes qui se mettaient à revivre.

Le barde, en regardant du côté de la terre, constata qu’un mur immense la lui fermait, un mur noir, impénétrable, une cloison sans issue. Devant lui, en revanche, s’élargissait un éventail de rues aux perspectives indéfinies. Il entendait geindre, en s’ouvrant, les volets ankylosés des boutiques. Des marchands très anciens, aux figures jeunettes, paraient les façades de leurs maisons de défroques historiques. Les justaucorps en peau d’aurochs se balançaient accrochés à des clous. Des bijoux barbares flambaient aux vitrines des orfèvres. Une odeur de sanglier rôti s’exhalait des cheminées et flottait en fumée odorante sur les toits. Des groupes de gens de tout âge et de l’un et de l’autre sexo s’acheminaient vers les églises, au bruit des cloches bourdonnantes.

Sur une place, un vieillard inspiré chantait. Il avait la barbe drue et sa chevelure se mêlait à sa barbe. Autour de lui faisaient cercle des gars énormes, des filles d’une beauté souveraine. Il chantait dans une langue rude et cependant très musicale, dans une langue aux sons gut-