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LA CHARLÉZENN


III

C’était au crépuscule d’aube, dans le sentier de falaise qui longeait la Lieue-de-Grève, entre Saint-Michel et Plestin, là où serpente aujourd’hui la route en corniche qui mène de Lannion à Morlaix. Les trois Rannou s’en revenaient vers Saint-Michel qui était ville à cette époque. C’était une trinité redoutée que celle de ces Rannou. L’aîné s’appelait Kaour, le cadet Kirek, et le plus jeune Guennolé. Ils portaient, on le voit, des noms de saints vénérés, mais tous trois étaient des hommes du diable. Du moins le prétendait-on, dans le pays. Mais en Basse-Bretagne, comme ailleurs, les gens valent souvent mieux que leur légende. Les Rannou passaient en tout cas pour de mauvais sujets. Aucun d’eux n’avait de métier déterminé. Ils vivaient en dehors de la loi commune. Le bailli de la mouvance de Keranglaz les eût volontiers pendu à ses potences féodales. Mais il eût d’abord fallu les appréhender. Ce n’était pas chose facile. Le bailli n’osait en courir le risque, quoiqu’il eût à sa dévotion une cinquantaine d’hommes d’armes. Qu’étaient-ce que cinquante hommes auprès des trois Rannou ! En attendant de pendre ces chenapans, le bailli était le premier à leur payer rançon. Dès qu’il avait à faire un voyage dans la région, il avait soin de leur demander, moyennant finance, un sauf-conduit. Les Rannou touchaient ainsi des rentes assurées auxquelles venaient se joindre quel-