— Je t’apporte au contraire un fût bien plein, un énorme foudre de gin qui a failli défoncer la voiture.
— Et c’est cela qui te rend maussade ?
— Pas précisément.
Gohéter tenait dans sa dextre sa pipe éteinte, une vieille pipe crasseuse aussi noire que son âme. À petits coups, il heurtait le fourneau renversé contre la paume de sa main gauche. Lorsque le culot se fut enfin détaché il continua :
— Je ne sais : mais, depuis quelques jours, je me croise en route avec un bonhomme qui ne me dit rien de bon.
— Tu ne le connais pas ?
— Non. C’est un nouveau-venu dans le pays. Mais ou je me trompe fort, ou c’est un ambulant[1].
— Bah ! est-ce que tous les gabelous ne sont pas à notre dévotion ? Nous les payons assez cher, fichtre !
— Je te dis ce que j’ai vu. Écoute mon conseil. Méfie-toi.
— C’est bien, on so méfiera. Est-ce tout ?
— La barrique que j’ai apportée n’était pas facile à dissimuler, poursuivit Gohéter-Coz, en tirant ses mots par les cheveux.
— Explique-toi donc enfin, vieille brute ! s’écria Margéot impatienté.
— Eh bien ! oui, là ! l’homme m’a interpellé d’un ton goguenard. « Voilà une belle charretée de fumier ! » m’a-t-il dit, « il y aura de quoi moissonner après ça ! » Je lui eusse volontiers fendu le coffre, mais tu as défendu les coups.
- ↑ (1) On appelait ainsi des douaniers qui, le jour, portaient des vêtements bourgeois et qui étaient comme la police secrète de la douane.