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    crucifix d’ivoire qu’ils tiennent à la main. Iannik continue sa route. Il arrive dans un champ de terre labourable. Des hommes, en grand nombre, y travaillent. Les uns hersent, les autres bêchent, d’autres charruent. Ceux qui sont au bas du champ se donnent beaucoup de mal, ne prennent aucun repos et cependant n’avancent guère leur besogne. Aussi sont-ils soucieux et tristes. Ceux qui sont au haut du champ vaquent aussi à leurs diverses occupations, mais sans se presser ; ils chantent en travaillant, s’interrompent parfois pour deviser entre eux, et cependant leur besogne se fait comme d’elle-même, vite et bien. Iannik passe son chemin. Voici maintenant un colombier au milieu d’une plaine. Tout à l’entour voltigent des colombes. Les unes, blanches, s’élèvent d’un faible essor au sommet du colombier. D’autres, grises, volètent jusqu’à mi-hauteur, mais pour retomber aussitôt. D’autres enfin, qui sont toutes noires, essaient en vain de prendre leur vol et demeurent les ailes clouées à terre.

    Lorsque Iannik parvient au Paradis, il demande l’explication de ces choses au capucin qu’il y rencontre. Et le capucin lui dit :

    « Les arbres qui se battent, ce sont deux époux qui, de leur vivant, ne pouvaient s’accorder.

    « Les deux faulx, ce sont de mauvais riches qui, de leur vivant, voulaient tout faucher, tout moissonner, tout engranger.

    « Les gens que des carrosses dorés emportent, n’ont eu souci que de mener large vie et vont droit en enfer, sans même s’en douter.

    « Les vieillards tristes, vêtus de robes grises, sont des gens qui ont fait leur devoir sur la terre, mais qui ont pourtant failli en quelque point. Ils se rendent en purgatoire pour expier leurs fautes.

    « Les laboureurs qui sont au bas du champ ont manqué à la loi du dimanche et ont été tourmentés toute leur vie de la passion de s’enrichir. Ceux qui sont au haut du champ ont observé toutes les fêtes ; c’est pourquoi ils sont aujourd’hui si joyeux : ils savent que le paradis les attend.

    « Les colombes blanches sont les âmes qui, ayant entendu prêcher la parole de Dieu, lui sont toujours demeurées fidèles.

    « Les colombes grises, ce sont les âmes qui n’ont pas persisté dans la bonne voie.