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— Si j’avais obéi à bon conseil, ce n’est point ici que l’on m’eût trouvée. Je voudrais voir le faîte de ma maison neuve écrasé sur le foyer, et que mon âme fût pardonnée. Je voudrais ma maison neuve rasée et que mon âme fût en bon état. Au moins mon anaon eût été sauvé, tandis que maintenant, mon mari et moi, nous sommes damnés tous deux[1].


(Chanté par Anna Drulot. — Pédernec, 1887.)
  1. Cf. la gwerz donnée par M. Luzel dans le premier volume des Chants populaires de la Basse-Bretagne (Gwerziou Breiz-lzel), p. 68, et intitulée Trogadec tout court. Dans cette version, c’est Trogadec qui tient le discours prêté, dans la nôtre, à la baronne. Ce qui paraît d’ailleurs plus naturel. La fin est particulièrement intéressante comme trait de mœurs : « Allez chez moi, dit Trogadec au prêtre, et priez ma femme de me venir voir dans l’enfer. Quand elle y sera, elle ne s’en ira plus. Si elle avait voulu, à mon insu, donner l’aumône en ma maison, un de nous deux aurait été sauvé… — Et comment donner à votre insu ? répond la femme. Le pain était toujours sous clef, et vous faisiez une marque pour savoir combien il y avait de farine dans le pétrin. — Certes, mais je ne visitais pas le blé dans l’arche !… » Avare pendant sa vie, Trogadec reproche à sa femme, après sa mort, de n’avoir pas su être charitable à sa place. Cela est d’une psychologie paysanne très fine. Nos poètes populaires ont quelquefois de ces trouvailles. C’est peut-être ici le lieu de faire remarquer quelle importance morale revêt l’aumône aux yeux des Bretons. « Il faut donner aux pauvres ». C’est là un axiome en quelque sorte fondamental. Beaucoup de nos légendes n’en sont qu’une démonstration, une paraphrase. Témoin la merveilleuse aventure de la Pénitente de Lochrist en Izelvet, dont nous croyons utile de donner ici une version. On peut dire que les pauvres sont les rois fainéants