Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/410

Cette page a été validée par deux contributeurs.

À bord de ce vaisseau-amiral, il y avait comme pilote un grand juif, assez bel homme, mais que je n’eusse pas acheté deux liards.

Le soir du premier jour de traversée, Jean Carré ne fut pas peu surpris de voir que les autres bâtiments de l’escadre gagnaient de vitesse celui qu’il montait. C’était cependant un fier navire, merveilleusement gréé.

— Ça, dit-il au juif, d’un ton courroucé, d’où vient que nous marchons à la traîne ? Le bateau a tout ce qu’il faut pour « aller de l’avant ». Vous êtes un mauvais pilote !

— Je ne suis pas un mauvais pilote. Comment gouverner, quand le gouvernail n’est pas à sa place ?

— Vous me ferez quinze jours de fers. Le gouvernail était bien à sa place, quand nous avons appareillé.

— Jugez-en vous même !

— C’est ce que nous allons voir.

Comme Jean Carré se penchait pour voir, le juif le saisit par les pieds et lui fit faire la culbute par-dessus bord.

— Au secours ! Au secours ! cria le pauvre capitaine. Hélas ! il ne lui restait qu’à périr lamentablement. La mer était grosse. Il roulait, à moitié enseveli, dans l’entre-deux des lames. Le juif avait si lestement fait son coup que personne, ne s’était aperçu de la disparition du gendre du roi. D’ailleurs, l’amiral se fût assez peu soucié de le repêcher. Il n’était déjà que trop vexé d’avoir à obéir à un simple capitaine de la marine bretonne.

Le vaisseau continua donc sa route, comme si de rien n’était.