Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/389

Cette page a été validée par deux contributeurs.
314
LA LÉGENDE DE LA MORT

en criant à haute voix, avec une moue de dépit :

— Que sont encore devenues ces vilaines bêtes ?

Ce manège lui réussissait toujours. Un éclat de rire chevrotant sortait soudain d’une touffe de genêts ou d’un buisson de lande. Et la tête du Vieux apparaissait, épanouie dans une folle grimace.

— Vieux, viens m’aider à chercher les bêtes, disait alors Thérèse.

Le Vieux la plaisantait, la traitait d’écervelée, de petite propre-à-rien, et finalement la conduisait où étaient les vaches ou les porcs. Il n’avait pas de peine à retrouver les animaux perdus, puisque c’était lui-même qui les égarait.

Le jeudi soir, on faisait des crêpes à Keranniou comme dans la plupart des fermes bretonnes, en vue des deux jours maigres, du vendredi et du samedi.

On installait une crépière dans chaque foyer ; l’une, dans la cuisine, était réservée à la servante principale ; Thérèse vaquait à l’autre, dans la pièce qu’on appelle le bas-bout (Ar penn-traon), et qui sert d’ordinaire de lieu de débarras.

La servante principale, plus âgée que Thérèse, était aussi plus experte. Elle avait une dextérité merveilleuse pour étendre la pâte avec la raclette et retourner la crêpe, déjà couleur d’or, avec l’éclisse. On s’étonnait que le Vieux, grand amateur de crêpes au temps où il en pouvait manger, ne vint pas de préférence s’asseoir auprès d’elle. Mais même sur ce chapitre il demeurait obstinément fidèle à Thérèse. Il trouvait, il est vrai, à se régaler à sa façon, en plaisantant la fillette sur sa gaucherie.