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la chambre. De temps en temps le bruit s’arrêtait, comme si, une fuselée étant terminée, le fileur s’interrompait pour en apprêter une autre. Puis, le ron-ron reprenait de plus belle.

— Charlo, supplia ma femme, toute pâle, allons nous coucher. On m’avait bien dit qu’il n’était pas bon de veiller après minuit, le samedi soir.

Nous nous couchâmes, mais nous ne pûmes fermer l’œil ; la peur nous tenait éveillés, et aussi le bruit du rouet qui ne cessa qu’aux approches du matin.

Le lendemain soir, qui était dimanche, il ne pouvait être question de travailler. Nous fûmes au lit presque aussitôt que les enfants, et cette nuit-là, rien ne troubla notre sommeil.

Mais la nuit du lundi, celle du mardi, et toutes les nuits de la semaine, jusques et y compris celle du samedi suivant, nous eûmes dans les oreilles l’éternel ron-ron. Cela devenait intolérable. Le samedi soir, je dis à ma femme, en me couchant :

— Il faut que ça finisse. Demain, je monterai. Je veux en avoir le cœur net.

Je passai mon après-midi du dimanche à chopiner d’auberge en auberge, à seule fin de me donner du cœur, en sorte que je rentrai pour souper, un peu bu.

Ma soupe m’attendait dans l’âtre. Je la mangeai très vite, et je criai :

— Soëz Chatton, allume-moi une chandelle que j’aille voir ce qu’il faut au vieux stoupêr (marchand d’étoupes) !

— Jamais de la vie, Charlo ! Tu ne feras pas cette chose. Il nous arriverait malheur.