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La maîtresse de la maison recouvre d’une nappe blanche la table de la cuisine, et, sur cette nappe, dispose du cidre, du lait caillé, des crêpes chaudes[1].

Ces préparatifs terminés, tout le monde se couche.

Le feu est entretenu dans l’âtre par une énorme bûche, la bûche des défunts (kef ann Anaon).

Vers les neuf heures, neuf heures et demie, des voix lamentables s’élèvent dans la nuit. Ce sont les « chanteurs de la mort » qui se promènent par les routes et viennent, au nom des défunts, interpeller sur le seuil des maisons les vivants près de s’endormir.

Ils disent la « complainte des âmes »[2].


I


Mes pauvres gens, ne vous étonnez point,
Si au seuil de votre porte nous survenons ;
C’est Jésus qui nous a envoyés
Vous réveiller, si vous êtes endormis.

  1. Ces repas des morts deviennent de plus en plus rares. Mais l’usage n’en est pas entièrement aboli. Cf. Fr. Baudry, Traditions populaires de la Neuville Champ d’Oisel, Mélusine, t. I, c. 14. V. aussi pour les cérémonies de la Nuit des Morts, L. Decombe, Mélusine, t. 111, col. 75. — [L. M.]
  2. Cette « complainte des âmes » a déjà été publiée, d’abord par M. Dufilhol, dans Guionvac’h (traduction, p. 205 ; — texte, p. 375), puis par M. de la Villemarqué, dans le Barzaz-Breiz, p. 505, sous le titre de « Chant des Trépassés ». La traduction que nous donnons ici, à notre tour, est absolument littérale. Il faut avoir été réveillé en sursaut, dans le lit clos de quelque ferme isolée, par cette douloureuse complainte, pour savoir jusqu’où peut aller la mélancolie intense, la poignante et sauvage tristesse des hymnes de la mort en Basse-Bretagne.