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Dès les premiers mots il m’imposa silence.

— Ne parlez de ceci à personne de l’équipage. Ce que vous m’annoncez n’est pas nouveau pour moi. C’est probablement l’âme de quelqu’un de nos anciens camarades, péris en mer, qui fait sa pénitence autour de la Jeune-Mathilde. Ne vous occupez pas d’elle ; gardez-vous de la troubler. Surtout ne vous penchez plus au-dessus du bordage. Le mort vous attirerait.

Le capitaine se tut. Je me disposais à remonter sur le pont. Il me rappela.

— Laur, reprit-il, retenez ce conseil pour votre gouverne. Les morts de la mer n’aiment pas qu’on ait l’air de les voir ou de les entendre.

Là-dessus, il me raconta une aventure qui lui était arrivée dans la précédente campagne.

La Jeune-Mathilde était mouillée sur les lieux de pêche. Il faisait grande brume. À deux pas de soi, on ne distinguait rien. La mâture même était devenue invisible, en sorte que le navire semblait rasé comme un ponton. Tout à coup, le capitaine avait vu le pont se couvrir de femmes. Elles étaient vêtues de noir et portaient des manteaux de deuil, le capuchon rabattu sur le visage. Leur nombre était si grand qu’il n’aurait pu les compter. Il y en avait vingt fois plus qu’il n’y en a le dimanche de Pâques à la grand messe. Elles tournaient la tête de côté et d’autre, avaient l’air de chercher quelque chose ou quelqu’un.

Le capitaine me demanda :

— Sais-tu qui étaient ces femmes ?

— Des âmes défuntes, sans doute.

— Oui : des âmes de mères, d’épouses, de fiancées,