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néri Rojou, il n’en était pas de même. Le pauvre cher homme n’avait plus goût au travail, mangeait du bout des dents et ne pouvait dormir que d’un œil.

Une nuit qu’il somnolait ainsi, il se dressa tout à coup sur son séant. On cognait à la porte.

— Qui est là ? demanda-t-il.

Pas de réponse.

Il pensa que c’était quelque ivrogne attardé, quoiqu’il n’y eût pas grand passage par l’aire de sa métairie.

— Qui est là ? répéta-t-il une seconde fois, puis une troisième.

Toujours pas de réponse.

— Damné sois-je ! s’écria-t-il d’un ton d’autant plus furieux qu’il avait l’esprit plus malade, je m’en vais tout à l’heure vous faire confesser votre nom, que vous veniez de la part de Dieu ou de la part du diable !

Il fit mine de se lever, mais il n’eut pas plus tôt la tête hors du lit qu’il sentit ses cheveux se hérisser d’épouvante. La porte du logis était grande ouverte. Il était cependant bien sûr d’en avoir solidement poussé le verrou, avant de se coucher. Ce n’était rien encore. La nappe qui enveloppait le pain, sur la table de la cuisine, se déployait, se déployait. On eût dit un drap repoussé peu à peu par les pieds d’un dormeur qui a trop chaud. Puis, sur la nappe, se dessina la forme rigide d’un cadavre. La tourte de pain, à peine entamée, servait d’oreiller à la tête. Cette tête, Gonéri Rojou la vit se soulever lentement.

Il referma les yeux, bien décidé à ne rien voir de plus.