Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cocher quelque trait d’ironie, lorsque, du milieu des femmes, une petite voix claire se fit entendre :

— Maître, disait la petite voix, me donneriez-vous, tout comme à l’un de ceux-ci, me donneriez-vous les six francs, si je faisais ce qu’ils n’osent faire ?

Celle qui hasardait cette question était une fillette de treize ou quatorze ans, mais si chétive, si menue qu’elle n’avait pas l’air d’en avoir dix. On l’appelait Mônik, tout court. Elle n’avait pas de nom de famille, parce qu’elle ne s’était jamais connu de parents. C’était une « enfant de l’aventure. » On l’avait recueillie à la ferme, par pitié ; on l’y employait comme vachère. Elle n’avait pour gages que sa nourriture et son vêtement. D’ordinaire, elle n’élevait jamais la voix à la veillée, où on l’occupait à dévider le fil qu’avaient filé les autres servantes ; elle s’acquittait de sa tâche, à l’écart, silencieusement : tout au plus l’entendait-on chuchoter en travaillant quelque prière, car elle était dévotieuse, l’esprit toujours tendu vers les choses de la religion.

Grande fut la surprise de Marie la fermière quand elle vit la langue de Mônik se délier si hors de propos.

— Écoutez donc cette mijaurée ! s’écria-t-elle. On a bien raison de dire que l’envie d’argent est la perte des âmes. Voici une malheureuse qui, pour six livres, consentirait à se damner si on la laissait faire !… N’avez-vous pas de honte, petite va-nu-pieds que vous êtes ?

— Croyez, maîtresse, que si je gagne cet argent, je n’en ferai pas mauvais usage, répondit humblement la petite gardeuse de vaches.