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EN BASSE-BRETAGNE

cette messe de trentaine que les Bretons appelle Ann ofern drantel.

Elle se célébrait à minuit. On la disait à rebours, en commençant par la fin.

Sur l’autel on n’allumait qu’un des cierges.

Tous les défunts de l’année se rendaient à cette messe ; tous les diables aussi y comparaissaient.

Le prêtre qui l’allait dire devait être à la fois très savant et très hardi. Dès le bas de la montagne, il se déchaussait, et gravissait la pente pieds nus, car il fallait qu’il fût « prêtre jusqu’à la terre ». Il montait, tenant d’une main un bénitier d’argent, brandissant de l’autre un goupillon et faisant de tous côtés de continuelles aspersions. Souvent il avait peine à avancer, tant se pressaient autour de lui les âmes défuntes, avides de recevoir quelques gouttes d’eau bénite et de se procurer de la sorte un soulagement momentané.

La veille, il avait fait transporter dans la chapelle un fort sac de graines de lin.

La messe dite, il commençait l’appel des diables,


    messe des damnés ? Ce misérable porche ne sert guère aujourd’hui qu’à abriter du vent d’ouest les quelques moutons que de petits pâtres font paître sur le Ménez. On y sent une vague odeur d’étable, et l’humble chapelle a tout l’air d’une maison de berger, campée dans la sauvage solitude. À l’entour, pousse une herbe fine et drue. On a de ce haut-lieu une admirable vue. On domine les vallées du Léguer, du Jaudy, du Trieux, et les longs dos de pays qui séparent ces rivières, filant, comme elles, vers la Manche. Derrière soi, on a la ligne houleuse de l’Arez, l’échine de la terre bretonne. Qui a contemplé la Bretagne du sommet de Bré, par un jour lumineux, est assuré d’emporter d’elle une merveilleuse image.