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vante à demi mortes de peur. Elles avaient des figures si bouleversées que je fus effrayé moi-même. Évidemment il avait dû, en mon absence, survenir quelque malheur. J’élevais à cette époque un magnifique poulain. Ma première pensée fut qu’il s’était cassé la jambe.

Voyant que les femmes restaient là, sans mot dire, comme hébétées, je m’écriai :

— Mais enfin, parlez donc ? Qu’est-ce qui est arrivé ? Ma femme finit par ouvrir la bouche :

— N’as-tu rien rencontré sur ta route ? fit-elle d’une voix haletante.

— Non, rien ! pourquoi ?…

— Tu n’as pas vu déboucher une charrette par le chemin de la mort ?

— En vérité, non.

— Nous non plus, nous ne l’avons pas vue, mais, en revanche, je te promets que nous l’avons entendue ! C’était là-bas, dans la montée. Jésus Dieu, quel bruit ! Les chevaux soufflaient avec une telle force, qu’on eût dit le fracas d’un vent d’orage… Le grincement de l’essieu vous déchirait l’oreille… A un moment l’attelage s’est mis à piétiner sur place, comme impuissant à gravir la côte… Ah ! il en donnait des coups de sabots dans le sol ! Cela sonnait comme des marteaux sur l’enclume… Le bruit a duré cinq à six minutes, puis, subitement, tout s’est tu… Marie la servante et moi, nous nous regardions avec stupeur pendant tout ce vacarme. Nous n’osions bouger, ni l’une ni l’autre. Je ne sais pas comment nous ne sommes pas devenues folles…